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LA DERNIÈRE AVENTURE

quoi leurs maximes paraîtraient souvent condamnables à un esprit juste… Je disais donc que je ne parlerai pas des moyens indiqués par Molière, pour qu’un homme d’âge mûr s’attache une jeune femme : mais il en est d’autres plus efficaces, plus certains.

Un homme de notre âge, qui veut être aimé, doit se contenter d’abord d’être souffert ; il doit se montrer très désintéressé pour les sentiments et pour les faveurs, le seul des premiers qu’il doit paraître chercher à exciter, c’est la confiance ; pour la mériter, il doit ne paraître occupé que des intérêts de la jeune personne, de son bonheur, indépendamment de ce qui le concerne ; il doit paraître disposé, le dire même, à la céder à un homme plus jeune, pourvu qu’il fût aimable et qu’il sentît comme lui de quel prix est son cœur, la possession de sa personne, ses jeunes et touchants attraits : mais en même temps, il paraît désespérer de trouver jamais un homme qui lui soit aussi dévoué, qui sente autant ce qu’elle vaut, qui désire aussi passionnément de la rendre heureuse ; ce moyen, bien employé, est immanquable pour faire naître la confiance. Dès qu’on s’aperçoit qu’on l’a fait naître, il faut la soutenir par un autre sentiment, qui la fortifie de la manière la plus efficace : la reconnaissance. Tout pauvre que je suis, monsieur de Blémont, j’ai suivi cette route, et elle m’a toujours réussi. Après avoir montré la meilleure volonté, je la prouvais, par quelques présents conformes à mes facultés ; comme elles ne sont pas considérables et que je ne pouvais revenir souvent à la charge, il était important de bien connaître ce qui flattait davantage la jeune personne. Le premier présent fait à Elise, dont, quoique vous en pensiez, l’âme est belle et généreuse, a été un petit don à une amie, alors dans un cruel embarras. Vous auriez été enchanté de l’effet que cela produisit sur elle, vous qui ne croyez plus à la vertu, surtout dans les femmes ! Flatté de mon succès, je fis un second plaisir du même genre, un peu plus considérable. Ces deux actes de bienfaisance m’acquirent absolument le cœur d’Elise, comme peut l’avoir un homme de quarante-cinq ans. Ce fut alors, ô le plus ingrat des hommes, qui m’avez si cruellement blessé ! ce fut alors, que je profitai de tout mon crédit sur son esprit, de toute la confiance qu’elle m’avait donnée, pour commencer à vous louer, car je vous croyais digne de la rendre heureuse. Elle m’écouta : elle désira de vous voir, comme mon ami. Je fortifiai ce nouveau sentiment, par de nouvelles marques d’attention, qui ne sont rien, mais qui marquent combien on désire d’effectuer tout ce qui flatte une jeune personne. Un soir, elle parla d’un genre d’ornement nouvellement à la mode pour les oreilles ; je ne dis rien ; mais comme le prix était modique, le lendemain à son lever, elle l’eut, le mieux choisi qu’il me fut possible. Elise me regarda pour lors, non seulement comme un bon cœur, un homme essentiel,