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LES DEUX CINQUANTENAIRES

obligeant ; mais comme un homme galant, qui réunissait l’agréable à l’utile. Tout cela n’a pas monté fort haut et ç’aurait été moins que rien pour vous ; cependant cela produisit les plus grands effets ! On augura de ma conduite, que mon ami devait me ressembler ; on prit de vous l’opinion la plus haute et c’était précisément ce que je voulais, parce qu’alors je désirais votre bonheur à l’égal du mien.

Voilà donc Elise, à peu près aussi disposée à vous donner sa tendresse, que si vous eussiez été jeune, aimable. Vous paraissez alors. Mais quelle est votre conduite ? Vous ne montrez à cette jeune personne, dont vous espériez la douceur de vos jours, qu’un effronté cynisme ; vous ne lui dites que des choses capables de la faire rougir ; vous lui inspirez, par vos propos obscènes, cette répugnance que vous paraissiez craindre : vous lui faites savourer, avec une affectation barbare, tous les désagréments de votre âge et de votre expérience contre les femmes ; vous ne lui parlez que de celles qui vous ont trompé. En cas pareil, j’avais fait tout le contraire ; je ne lui avais parlé que du dévouement généreux qu’avaient eu pour moi celles dont j’avais su me faire aimer ; je l’ai plus d’une fois intéressée par des récits de ce genre : mais sans y trop appuyer et surtout, sans paraître prétendre encore aux mêmes avantages ; ce qui serait à présent une prétention ridicule. Vous avez été plus loin ; vous avez exigé des faveurs proscrites par l’honnêteté, sous le prétexte frivole qu’elles étaient nécessaires, pour vous prouver qu’on pouvait vous supporter à votre âge. Mais qu’avez-vous donc fait pour l’être ? À quel titre auriez-vous été aimé ? Avez-vous fait la moindre chose pour cela ? Non, monsieur de Blémont, il est fort indifférent par quel moyen on gagne un cœur, pourvu qu’il le soit réellement : c’est une vérité que vous paraissez encore ignorer. Il est indifférent que ç’ait été le goût, le penchant, la tendresse, la confiance, la reconnaissance, l’intérêt même, pourvu qu’enfin nous nous soyons attaché le cœur d’une jeune fille : en continuant de vivre avec la personne, et de la bien traiter, l’attachement s’épure et fait notre bonheur. Avez-vous vu dans les villages, les veuves se meurtrir le sein et s’arracher les cheveux sur le tombeau d’un mari, que la mort leur enlève à la fleur de ses ans, dans la vigueur de l’âge, au sort des affaires ? Elles ne croient pas déshonorer leur attachement et leur douleur, en mettant l’intérêt au rang des principaux motifs de leurs larmes et de leur désespoir : pauvres enfants ! qui vous nourrira !… Malheureuse que je suis, j’ai perdu mon soutien, mon appui, celui qui me donnait du pain et qui faisait prospérer la maison ! Que vais-je devenir ? Qui me soutiendra ? j’ai perdu mon gagne-pain. Il était si travailleur ! si ménager !… Elles disent tout cela, et le répètent plus souvent que les autres qualités morales. Elles rougiraient même de dire, je l’aimais, ou il m’aimait tant !… Vous ne