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LA DERNIÈRE AVENTURE

agréablement distrait, que par le charme de sa présence. Puis, entrant en matière, je lui dis : « Mademoiselle, je suis chargé par madame votre mère de faire réponse au père de M. du Châtaignier. Mais je ne voudrais pas m’acquitter d’une commission qui serait désobligeante pour vous. » J’attendis sa réponse. Sara baissa les yeux en rougissant et me chargea de remercier absolument M. du Châtaignier fils. « Vous le pouvez, monsieur, dit-elle, sans me désobliger, je vous assure ! je le méprise trop pour le regretter. Lorsqu’une fois on m’a manqué essentiellement, je n’en reviens plus. » Cette réponse me donnait carte blanche ; je fis une lettre telle que la désirait la mère. J’en écrivis plusieurs autres au père de ce jeune homme, pour presser le paiement de la pension, et on m’obligeait à les tourner très durement.

Cependant, je voyais Sara toutes les semaines pendant deux ou trois jours, car elle venait le dimanche, et ce n’était que le lundi, quelquefois le mardi, qu’elle s’en retournait chez sa maîtresse. Au renouvellement de l’année, nous n’étions pas encore des connaissances assez familières pour que je hasardasse un présent de quelque valeur. Je faisais des réflexions sur mon âge et, malgré la confiance avec laquelle Sara me parlait, je sentais que je ne pouvais être qu’un père à son égard, au lieu d’un amant. Ce fut la première de ces qualités que je lui offris, dans les termes les plus affectueux. Elle y répondit d’une manière charmante, mais avec retenue. « Oui, me dit-elle, le premier jour de l’année, soyez mon père, puisque je suis abandonnée de celui que la nature m’a donné. Commençons une liaison si agréable pour moi, avec cette nouvelle année ; qu’elle me soit plus favorable que les dernières !… » Elle jeta sur moi un regard touchant et deux larmes humectèrent sa paupière. Je la pressai contre mon cœur : « Ma chère fille ! — Mon bien-aimé papa ! — Auriez-vous des peines ?… parle, ma fille, quelque chose te chagrinerait-il ? — Ah ! que j’aime ce ton ! vous me tutoyez ! il me semble que j’en suis davantage votre fille. — Aimable, charmante enfant ! — J’ose me promettre un heureux