Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 1, 1883.djvu/156

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n’était pas sans plaisir. Mon quadruple troupeau paissait ; les cochons trouvaient en abondance une espèce de carotte sauvage, que les paysans nomment échavie, et ils labouraient la terre, tandis que les plus gros, et surtout leur mère, s’avançaient du côté du bois. Je les suivais pour les empêcher d’y entrer, lorsque j’aperçus sous un vieux chêne à glands, un énorme sanglier. Je tressaillis d’horreur et de plaisir, car cet animal augmentait l’aspect sauvage qui avait tant de charmes pour moi. Je m’avançai le plus qu’il me fut possible. Le fier animal m’aperçut et, dédaignant un enfant, il continua de se rassasier. Par un heureux hasard, la truie était en chaleur, elle s’approcha du sanglier qui courut à elle dés qu’il la sentit. J’étais ivre de joie du spectacle qu’ils m’offrirent, et je retins mes trois chiens en laisse pour ne pas troubler le sanglier. Dans le même moment parurent un lièvre et un chevreuil : je me croyais transporté dans le pays des Fées ; je respirais à peine. Je m’écriais inarticulément quand un loup parut. Je fus obligé de lâcher mes chiens contre cet ennemi public ; la crainte qu’il n’attaquât le troupeau détruisait le charme de sa présence (car tous ces animaux sauvages augmentaient à mes yeux celui de cette solitude). Mes chiens effrayèrent et lièvre et chevreuil et sanglier ; tout disparut et rentra dans les bois : mais le charme resta. Il fut même augmenté par une belle huppe qui vint se percher sur deux gros poiriers dont les paysans appellent le fruit poires de miel, parce qu’elles sont si douces et si sucrées dans