Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 1, 1883.djvu/233

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ditions. Il partit. Or en route, craignant quelque surprise, il tira un poignard ou dague, qu’il portait toujours sous ses habits, et le tint à la main. Quand il fut arrivé au château de la Bête, il entendit hennir son cheval : il fut à lui ; mais il ne trouva rien de dérangé. Il choisit ensuite la plus belle chambre, où il fit grand feu, après avoir large ouvert toutes les portes. Il fit sa prière à Dieu, à la benoîte Vierge, à Saint Michel archange qui vainquit le Diable, et à Saint Martin, le patron des Guerriers[1], se coucha dans le coffre et s’endormit.

Mais à environ minuit, il fut réveillé par un grand bruit, comme si on avait tout bouleversé dans la chambre. Le Gentilhomme, sans remuer, regarda par le trou de la serrure de son coffre, et il vit devant le feu une grande et belle Fille, qui poussait de profonds soupirs, pendant qu’un petit Homme noir lui prenait la gorge, et toute sorte d’autres libertés, devant un valet, qui mettait à la broche un enfant de six ans tout entier, puis deux chiens dans le tourne-broche, et qui s’en alla, en disant : — « Ma Dame et Maîtresse, quand cette pièce sera cuite, vous sonnerez, pour que je mette la sauce, et que je serve. » Dès qu’il fut sorti, le petit Homme noir se mit à jouir de la belle Fille, qui se livra comme une furieuse… Quand ils furent las, l’Homme noir dit : — « Ma Dame, vous souperez seule aujourd’hui : car je sens auprès de moi un grand danger, qu’il faut que j’aille conjurer. » Aussitôt il s’en alla. — « Hélas ! hélas ! » dit la belle Fille, « qui me délivrera de mon ensorcellement ? » Elle

  1. Martin (Martinus, petit Mars), fort adroitement substitué, dans les premiers temps du Christianisme des Francs, au grand Mars des Romains. De là cette dévotion fameuse dans notre Légende, pour Saint Martin, qui avait été soldat.