Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 1, 1883.djvu/234

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
216
1746 — MONSIEUR NICOLAS

ôta sa toque dorée, qui était fort sale, et se mit à peigner sa belle chevelure blonde, qui lui battait les talons. Et quand elle se fut peignée, elle remua encore les chaises, comme si elle se fût battue contre quelqu’un d’invisible : — « Garde ta maudite peau ! » s’écriait-elle ; « si j’ai failli, que Dieu me punisse ; mais que je ne sois pas en ton pouvoir ! » Enfin, elle prit une grande peau d’un gris-roux, et la jeta sur une chaise. Elle coupa une cuisse de la pièce qui rôtissait, et la mangea moitié cuite, sans sauce ni pain ; puis elle dit : — « A boire ! » Aussitôt le valet parut. Il saigna une jeune fille à la gorge, et la Blonde reçut le sang dans sa bouche. Le valet ferma la veine, quand la fille fut prête à tomber. Et il dit : — « Faut-il vous amener une de ses camarades, pour le second coup, ou un jeune garçon ? » Elle ne dit mot. Elle détacha une épaule et la mangea. Puis elle frappa du pied. Le valet reparut avec un jeune garçon et une jeune fille. — « Y a-t-il longtemps qu’ils n’ont pissé ? — Six heures. » Elle fit un signe ; et le valet donna un grand verre à la jeune fille, un grand verre au jeune garçon, qui pissèrent ; il mêla le tout dans un plus grand gobelet, qu’il présenta à genoux. Mais au moment où la Blonde allait le prendre, il l’avala, et le valet le remplit d’un Tokaï délicieux, qu’elle mira, en disant : — « Elle est belle ! Mais qu’on y mêle quelques gouttes de sang. » Le valet piqua au cou le jeune garçon, sur le vase. Et quand le Tokaï fut rougi, elle but.

Le Gentilhomme regardait tout cela, autant que pouvait le lui permettre sa situation gênée ; car il étouffait quasi, et il tâcha d’entr’ouvrir le coffre, à celle fin de respirer. Il en vint à bout, sans faire de bruit ; il souleva le couvercle, et il vit presque nue devant le feu, la plus belle Blonde qui fut et sera jamais. Il se mourait