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1746 — MONSIEUR NICOLAS

beau. Je retournai régner dans mon vallon ; mais je n’y eus pas la même ivresse : mon âme n’était plus aussi tranquille. Au lieu de ne sentir que le charme du présent, comme l’année précédente, je me reportais dans le passé ; mon imagination me retraçait tout ce qui m’était arrivé depuis treize mois. Je découvrais Joux de mes collines, et le souvenir de Julie Barbier, de ses charmes, de ses qualités, de son amitié pour moi, me plongeait dans un profonde mélancolie ! Si proche de cette aimable fille, et n’oser l’aller voir ! J’ai toujours eu, comme Socrate, un Moniteur secret, qui m’éloignait du péril, bien qu’absolument inconnu : Julie venait d’être mère, à l’insu de tout le monde, son père et la belle-mère exceptés… Un autre sujet d’inquiétude, c’est que j’entendais journellement mon père et ma mère parler entre eux du projet de me mettre à Paris, auprès de mon second frère l’abbé Thomas. Tout cela troublait ma tranquillité, empoisonnait mes plaisirs ; je n’étais plus seul ; j’avais, à ma suite, toutes ces tumultueuses idées dans mon cher vallon, et elles enlevaient le charme à tout ce qui m’avait enchanté l’année précédente. J’y rétablis cependant mes pyramides (faible ouvrage ! image de ceux des hommes !), et le jour où je les achevai, je dis adieu à cette solitude chérie, comme par une sorte de pressentiment. C’était le même jour qu’en 1745 j’étais parti pour aller en pension à Joux. En effet, le soir, je trouvai à la maison une fille qui devait être bergère. Marie Coquolly alla seule aux champs le lendemain. À onze