Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 1, 1883.djvu/72

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doublaient. Le mari lui tenait des discours singuliers, qui me déplurent, sans doute à cause de leur effronterie, ou peut-être plus encore par ce sentiment de jalousie naturel aux mâles, et qui se montre, dans l’espèce humaine, même avant le développement de la faculté. La haine que m’inspira Cornevin dure encore. Je sortis avec dépit, à une caresse plus décisive. Le rire de la jeune femme me paraissait charmant ! mais je trouvais l’homme si laid, que je ne concevais pas comment Nannette pouvait souffrir et rendre ses caresses ! Les images de cette scène lubrique ne se sont jamais effacées, et elles ont eu dés ma plus tendre jeunesse, des effets terribles sur mes sens à peine développés ! surtout après un répétition que m’en donna, dans une grange, Thomas Carré[1], avec sa prétendue, la fille à la Polie, femme ainsi nommée par antiphrase.

  1. Thomas Carré arrangeait la paille en bottes, et sa maîtresse riait avec lui ; je trouvais ce bon accord très agréable et je m’amusais à l’écart, quand tout à coup Thomas renversa la fille à la Polie sur la paille fraîche. Je le regardai comme un traître : mais comme la fille riait, je m’en inquiétai peu. Bientôt les choses devinrent sérieuses ; la fille se défendait ; Thomas la contenait : enfin j’entends des soupirs… Alors la compassion s’éveille dans mon cœur : armé d’un brin de sarment, je vais sur le traître, que je frappe de toutes mes forces, en disant : « Veux-tu la laisser, vilain ! — Ha ! le petit diable » (s’écria la fille en syncopant), « il est là !… » Je ne fis qu’accélérer sa défaite. Après la crise, elle me caressa, en me défendant de dire que Thomas l’avait battue… Je vis complètement l’acte, sans y rien comprendre alors, mais ce fut le germe de mon aventure avec Nannette Rameau, et de celle avec Marguerite Miné.