Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 1, 1883.djvu/76

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l’horreur, l’effroi sur tous les visages ! Ce tableau, joint aux discours du chirurgien, que je comprenais beaucoup mieux qu’on ne l’imaginait, dut faire sur mon cerveau une impression profonde[1] !

Ma crainte des chiens et mes frayeurs nocturnes eurent la même cause : la forte secousse donnée à mon imagination. C’était dans la nuit surtout, que n’étant plus fixée par les objets extérieurs, elle devenait susceptible, fougueuse, et me traçait des tableaux mobiles effrayants, qui me rendaient fatigant le temps destiné au repos. Les vérités religieuses trop tôt inculquées, étaient une cause seconde de tout ce désordre. Je voyais, dés que les lumières étaient éteintes, de vilaines figures cornues, qui me faisaient des grimaces épouvantables ! Je poussais des cris de frayeur, et j’éveillais ma mère. — « Qu’as-tu, Nicolas ? — J’ai peur ! — C’est singulier ! disait mon père ; « qu’a cet enfant ?… » Il ne vivra pas ! — J’avais des frayeurs comme lui, dans mon enfance, » répondait ma mère, dés que j’étais dans les ténèbres[2]. » J’entendais

  1. À l’âge de dix ans et demi, je ne craignais pas un loup, comme on le verra en 1745. À quinze ans, j’en poursuivrai un autre, par un brouillard à n’y pas voir de dix pas. Et cette même année, sur le même chemin, un petit chien qui tenait le milieu du sentier, m’empêcha de passer : je pris à travers les champs ensemencés ; ce qui m’attira une réprimande de la part des messiers, auxquels je montrai naïvement le terrible animal. Ils coururent sus au monstre. C’était un chien un peu plus gros qu’un lièvre, qui s’enfuit en jappant.
  2. Je me rappelle, que je disais alors en moi-même :