Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 1, 1883.djvu/77

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tout cela, et le parler seul me rassurait. Je voyais alors des processions, des prêtres en chapes ; les diables fuyaient. J’aimais ces visions dévotes. Je conjecture que mes sœurs aînées, Margot surtout, fort jeune et fort bête, me faisaient des contes de diables, ou se les faisaient entre elles devant moi : mais je ne me souviens d’aucun, quoique je me ressouvienne des rêves, qui en étaient comme le reflet. Ce qui prouve que nous nous ressentons des impressions données avant le développement de la raison.

Je me rappelle qu’alors, ma confiance dans les femmes et dans les filles était absolue ; je les regar-

    « On croit que je ne comprends pas. » La vivacité naturelle de mon imagination était la cause première de mes frayeurs : mais cette cause avait été mise en action par la terreur extrême que m’avait occasionnée le coup de fusil, la mort, le sang du chien enragé. Ma sensibilité physique a toujours été telle, que non seulement je ne puis voir mon sang et celui des autres, sans m’évanouir, mais que le simple récit de quelques maladies produit sur moi le même effet. Un coup assez léger m’a quelquefois plongé dans un évanouissement de trois quarts d’heure. J’étais femme par la sensibilité ; j’y joignais la vigueur de l’homme parfaitement conformé. Et c’est avec cette sensibilité physique, avec tous ces moyens que je vais m’élancer dans la carrière de l’amour !… Toutes mes passions tenaient de cette extrême sensibilité : j’étais extrêmement timide, extrêmement colère, extrêmement modeste, extrêmement vain ; extrêmement courageux, extrêmement poltron ; impérieux et soumis ; tendre et cruel, etc. J’ajouterai que ce caractère extrême n’est bon ni pour les sciences, ni pour les arts, pendant son effervescence ; si, comme dans J.-J. Rousseau, il ne s’est pas trop tôt épuisé, à quarante et quarante-cinq ans, il produit des ouvrages de jeune homme.