Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 2, 1883.djvu/102

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s’élance encore vers la fille dont l’âme fortifia la mienne !… Ô Jeannette adorée ! qu’avez-vous dit, qu’avez-vous pensé d’un homme qui jamais ne vous parla, et dont vous ne connûtes les sentiments que par ses regards dévorants, et une lettre… Mais vous les connaissiez, ces deux hommes qui mettaient les sentiments naturels au rang des crimes ; qui, bourreaux du sang de leur père, l’eussent anéanti, pour en faire un sacrifice à l’idole de leur folle superstition !…

Depuis l’instant où j’eus vu Jeannette pour la première fois, je ne fus plus occupé que d’elle. Le reste de la journée, au catéchisme, à vêpres, je la cherchai des yeux, et je la trouvai à l’encensement du Magnificat, où ceux qui sont dans le chœur se retournent vers la nef. Sa place était du côté du bénitier de la porte latérale qui regarde le presbytère. À la prière du soir, où toujours il y avait une exhortation, je me tournai du côté du prédicateur, et je ne vis que la modeste et belle Jeannette… Le lendemain, l’impression était encore plus forte. Je fis deux choses. Je me promis à moi-même de me rendre digne de Jeannette, par mon application à l’étude ; ensuite, à l’église, ma prière la plus fervente fut celle-ci : Unam petii a Domino, et hanc requiram omnibus diebus vitæ meæt ! (Je n’en demande qu’une au Seigneur, et je la rechercherai tous les jours de ma vie). Je ne croyais pas dire si vrai ! Car il ne s’est peut-être pas écoulé un jour, depuis quarante-six ans, où le nom de Jeannette Rousseau n’ait été pro-