Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 2, 1883.djvu/120

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Pour Melin, le plus jeune de nous trois, c’était un polisson, dont la paresse était alors le seul goût, et qui depuis a eu tous les vices. C’était pourtant le favori ! Huet était un raisonneur ; moi, une imagination ardente et frivole. Si l’on veut savoir dans quelles dispositions mes frères étaient à mon égard, on va s’en former une idée, par l’exposition de leur conduite envers mes condisciples et moi. D’abord, il faut dire que le bon chapelain m’exhortait à l’étude ; qu’étonné de mes progrès, il me louait quelquefois beaucoup, et que cela déplaisait à mes frères, qui eussent voulu qu’on m’eût découragé. Leur but était de me faire apprendre un métier (que ne m’avaient-ils laissé laboureur). Et ce qu’il y a de remarquable, c’est qu’ils avaient encore, et d’avance, les idées de J.-J. Rousseau pour la menuiserie ! Ces rapports singuliers, qui m’ont frappé depuis, m’ont donné pour l’Émile une insurmontable répugnance, que j’ai tâché de me déguiser à moi-même, en faisant l’École des Pères ; mais j’ai toujours regardé ce livre comme une production dangereuse, où se trouvent beaucoup de bonnes choses, et dont le fond est vicié par le caractère de l’auteur, par son goût pour le paradoxe, par sa vertu sauvage, effet de son imagination ardente, et quelquefois déréglée[1]. Les Presbytériens et les Jansénistes ont

  1. Je n’avais pas encore vu ses Confessions, ouvrage sublime, qui rend J.-J. Rousseau plus grand à mes yeux que toutes ses autres productions. Ses ennemis ont dit : « Ses