Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 2, 1883.djvu/125

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ferai honneur ! » Ces nobles idées me tenaient dans l’enthousiasme, et suspendaient les fonctions de deux de mes sens, la vue et l’ouïe, quand l’abbé Thomas survint par derrière, vit que je lisais, et reconnaissant que c’était son Térence, qu’il ne m’avait pas donné, me l’arracha des mains : « Ah ! ah ! vous savez trouver les livres que je serre ! » Il l’emporta ; et moi, immobile de douleur, je me vis ôter un auteur adoré, le modèle sur lequel je comptais pour me former ! On m’en privait au plus fort de l’intérêt, lorsque le poète avait mis en jeu toutes mes passions ! Ah ! quelle maladresse de la part de l’abbé Thomas ! qu’il connaissait peu le cœur humain ! Il ne fallait, pour éteindre la moitié du désir, que me laisser achever l’Andrienne ; ou peut-être fallait-il me laisser lire les cinq autres comédies, qui sont bien moins intéressantes… C’est ainsi que, sous mes yeux, une mère imprudente, après avoir laissé traîner les Liaisons dangereuses, trouvant sa fille à les lire, lui arracha ce roman détestable, au milieu du IIIe volume. La fille, âgée de quinze ans (l’oserai-je dire !) le désirait avec tant d’ardeur, qu’un homme de quarante-cinq ans obtint d’elle la dernière faveur, à condition qu’il le lui apporterait. Elle l’acheva pour lors. Son désir satisfait, elle fut étonnée, effrayée de sa faute ; elle fut au désespoir, et peu s’en est fallu qu’elle ne se soit donné la mort… Ô mères ! soyez prudentes.

Je vis avec une amère douleur le Cagotisme renfermer mon Auteur chéri, dans la fatale cassette ! et