Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 2, 1883.djvu/127

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j’avais une bonne mère, qui montrait la joie la plus vive à mes moindres progrès, et la plus forte envie de me voir me distinguer. Moi, j’avais un père, qui ne parlait de son père qu’avec vénération, et qui nous entretenait sans cesse du plaisir qu’il trouvait à lui donner de la satisfaction. Moi, j’aimais, j’adorais Jeannette, et je ne lui avais jamais parlé ! Je la voyais sans cesse m’aiguillonner, et me dire : « Je suis belle, douce, remplie de qualités ; je suis une nymphe charmante ! juge du mérite qu’il faut pour oser m’espérer ! » Et j’étudiais, et j’apprenais autant en un mois, que vous en un an ; on ne m’inculquait pas la science comme à vous : je l’aspirais avec une inconcevable avidité… Voilà pourquoi, au bout d’un an, je parlais et j’écrivais en Latin, avec une facilité qui faisait pleurer de joie et d’admiration le bon chapelain ; mais qui ne satisfaisait pas également mes frères, toujours tremblants (disaient-ils) pour mon salut, et pressentant que j’avais de la disposition à faire des romans…

Et comment entretenais-je ma passion, en ne parlant jamais à son objet ? En m’occupant sans cesse de Jeannette ; en priant Dieu fervemment de me l’accorder ! Je répétais tous les jours à l’église ma prière : Unam petii a Domino. J’avais une jouissance, dont peut-être jamais personne ne s’est avisé : le marillier ou sonneur, notre voisin, était vigneron ; l’obligation de sonner midi le dérangeait de son travail : il obtint de l’abbé Thomas qu’un de nous le sonnerait. Les jeunes gens aiment les cloches ;