Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 2, 1883.djvu/128

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais moi, occupé de mon travail, je laissais Huet et Melin sonner jusqu’à satiété ; ils s’en dégoûtèrent et se plaignirent enfin de ce que je ne sonnais jamais. On leur répondit qu’allant presque toujours à Saint-Cyr, il était juste qu’ils sonnassent au lieu de moi ; cependant on m’y envoya. Je marquai de l’humeur par une grimace imperceptible ; l’abbé Thomas, très clairvoyant parce qu’il m’observait, me dit avec sévérité : « Vous sonnerez midi tous les jours… » Il voulait mater en moi la chair et la nature, toujours rebelles, depuis le péché !… Le salut de mes camarades l’intéressait moins, apparemment… Dès la seconde fois, me voyant seul dans l’église, il me sembla que j’y jouissais d’une liberté qui demandait à s’exercer. « Voilà la place de Jeannette ! » J’y cours ; je m’y agenouille ; je tressaille ; mon cœur bat. Je m’appuie, comme elle s’appuyait ; je palpe la place où elle s’asseyait ; ce n’était pas un banc que je touchais… Je sortis content, plein de joie et d’ardeur. Le lendemain, j’attendis le midi avec impatience ; l’ordre d’aller me vint ; je me lève, je cours. Je m’agenouille avec empressement à la place de Jeannette ; un sentiment plus vif avertit mon cœur ; je me baisse, et je baise la pierre que foulaient ses pieds délicats. Dieu ! quel plaisir pour un Janséniste d’environ quinze ans, déjà formé, concentré, réfléchi, dont le feu, contraint par des dévots, avait une énergie que vous ignorerez à jamais, pauvres avortons, Parisiens blasés avant d’avoir joui, énervés avant d’avoir des sens ! Je redoublai de ferveur, en