Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 2, 1883.djvu/129

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récitant ma prière : Unam petii… (Hélas ! ce fut en vain)… Je chéris alors la commission de sonner midi ; mais je le déguisai ; je me faisais même illusion à moi-même sur mes motifs, et je me disais que je devais rendre de bon cœur ce petit service au pauvre Pinon le marillier… Étais-je heureux, honnête Lecteur, moi, qui, chaque jour, avais un délicieux midi à sonner ? moi qui, chaque dimanche, devais avoir une délicieuse matinée, où je pensais librement à une fille chérie, et voyais lever le soleil ? moi qui, pendant un prône fort long, avais les yeux fixés sur Jeannette Rousseau, sans pouvoir me rassasier de la voir ? Ah ! j’étais le plus heureux des hommes ! J’étais si heureux, que j’avais le bonheur complet, car je ne cherchais pas même à voir de plus près, à parler à une maîtresse adorée.

Un jour d’été, par une longue sécheresse, nous n’avions plus d’eau dans notre grande pierre, pour arroser le jardin : l’abbé Thomas, jardinier en chef du couril de la cure, nous envoya, Huet et moi, chercher de l’eau. Le puits le plus proche était à l’entrée de la cour de M. Rousseau, notaire et maître d’école, père de Jeannette. Il n’y avait pas de corde ; M. Stallin, oncle de la jeune personne, sur la corde duquel nous comptions, était absent. Quelqu’un me dit d’aller demander celle de M. Rousseau. Je revins auprès d’Huet, n’osant lui dire où était une corde, parce qu’il aurait fallu prononcer le nom de famille de Mlle  Rousseau ; et je ne l’aurais pu sans bégayer, sans trembler, sans rougir, sans souffrir, en un mot,