Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 2, 1883.djvu/135

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l’eau. » Je la contins fortement sans lui répondre, en la serrant dans mes bras à l’étouffer. Elle craignit que je ne redoublasse d’efforts par la résistance ; elle me pressa contre sa poitrine… Je n’avais plus de force, un nuage couvrit mes yeux, mes membres défaillirent ; je serais tombé, si Marguerite ne m’avait soutenu. C’était la première fois que cette crise m’arrivait, sans copulation et sans que je perdisse entièrement connaissance. Ravi de l’avoir sentie tout entière, je me dis à moi-même : « Je suis homme enfin ! » Et Jeannette fut encore le principal motif de ma joie : « Je pourrais être le mari de Mlle  Rousseau. » Je revins de mon trouble excessif, et Marguerite, me voyant calme, me fit des remontrances, quoiqu’elle ignorât (du moins je l’imagine), tout ce qui venait de m’arriver. Je lui protestai que c’était une sorte d’égarement involontaire ; que je m’étais trouvé hors de moi, je ne sais comment, et que j’avais été bien éloigné de vouloir lui faire du mal. Elle m’en parut persuadée, car elle sourit. Elle me demanda ensuite : — « Quoi donc vous a mis dans cet état ? — Il faut, » lui dis-je, tant j’étais encore innocent, « que ce soit la vue de votre mule et de votre jambe, car je ne pouvais m’empêcher de les regarder, quand cela m’a pris : j’étais comme un oiseau que charme une vipère : Il sent le danger et ne peut le fuir. — Mais si vous aimez Jeannette Rousseau ?… » Ce mot fut un coup de foudre. Une sorte de frisson me prit ; je devins glacé. Le Salut vint à sonner, et j’y allai.