Page:Retif de La Bretonne - Les Contemporaines, t. 1, éd. Assézat, 1875.djvu/46

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me suppose quelque talent, et qui m’aime en-raison du bien que son imagination exaltée lui dit de moi, fait les informations, et me donne ensuite les résultats de ses recherches[1]. Quelques-uns de ses canevas restent tels qu’il me les donne ; j’ai désigné ces Nouvelles à la table par la lettre (N***). Vous ne verrez donc ici aucune Avanture, honorable Lecteur, que la Belle qui en est l’Héroïne, n’ait fait naître l’idée de l’écrire. C’est la raison du titre que j’ai choisi.

Maintenant voici mes motifs pour mettre sous vos yeux des événements journaliers, qui se passent dans l’intérieur des Familles, et qui par leur singularité, vous serviront à anatomiser le cœur humain. Si vous êtes retiré à la campagne, vous serez charmé, à vos moments de loisir, de vous amuser à lire une Histoire véritable, courte, dont les faits n’ont point ce sombre terrible des Livres anglais, qui fatigue en attachant ; ni ce ridicule papillonnage des Brochures françaises ordinaires ; ni le ton langoureus et soporatif de ces Romans prétendus tendres, tous jetés dans le même moule ; ni ces échasses mal-proportionnées, que donnent à leur Héros les Romans de Chevalerie. J’ai depuis longtemps quitté cette route ; et pour m’en frayer une autre, j’ai suivi moins l’impulsion de mon propre goût, et la tournure particulière de mon esprit, que la vérité. Dès mon enfance, en lisant des Romans, j’eus envie d’en faire : mais sentant bien qu’il manquait quelque chose à ceux que je lisais (c’était sur-tout ceux de Mme de Villedieu) et que ce quelque-chose était la vérité, j’imaginai que si jamais j avais le talent d’écrire, il faudrait prendre une route nouvelle, et ne point prostituer ma plume au mensonge.

A-la-vérité, je n’ai pas toujours tenu ce sage propos : Mais dès que j’ai eu calmé le premier

  1. Il est mort la nuit du 29 au 30 mars 1779 (Joly).