Page:Revue de métaphysique et de morale - 26.djvu/393

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

prémisses, elle s’y trouvait en plusieurs morceaux, comme les pièces détachées d’une machine, qui se trouveraient même incorporées dans des machines différentes. Il reste que les termes de la conclusion étaient contenus dans les prémisses, c’est-à-dire que la conclusion parle des mêmes choses que les prémisses. Est-ce cela qui prouve a priori la stérilité du raisonnement formel ?

On dit : un raisonnement formel est une marche sur place, une transformation identique ; et cela n’a point de sens rigoureux : peut-on extraire d’une proposition quoi que ce soit par une application loyale du principe d’identité ? Au fond, on définit la transformation identique par le raisonnement formel. Mais elle n’est plus alors identique au sens a=a, et l’on ne sait plus rien a priori sur la fécondité de l’opération. Quelque appui que puisse trouver dans les faits « das Märchen der Unfruchtbarkeit der reinen Logik » [1], le philosophe ne saurait établir a priori sa vérité[2].

Si je ne suis pas convaincu par ce que dit M. Goblot de la logique formelle, je dois signaler avec admiration sa discussion du raisonnement par récurrence. Il expose d’une manière lumineuse les lacunes de la théorie, soutenue d’ailleurs par H. Poincaré avec une légère indécision, d’après laquelle ce raisonnement serait le nerf de la déduction mathématique. Ce sont là des pages excellentes qu’il faut lire.

Revenons à la théorie positive de M. Goblot. Elle fait des prémisses du raisonnement ses règles, et de ses règles logiques, elle fait des règles auxiliaires concernant l’application des vraies. C’est que la conception du raisonnement change tout à fait. Le raisonnement, pour la logique courante, est une combinaison mentale de propositions selon les règles de la logique formelle. Pour M. Goblot, le raisonnement est une combinaison mentale de choses singulières selon les propositions que l’on admet. Telle est la nouveauté caractéristique de sa théorie. C’est là, dit-il dans sa préface, « le point précis sur lequel je me sépare de M. Rougier ». M. Rougier pense expliquer suffisamment la fécondité du raisonnement par le choix et la combinaison de prémisses appropriées, et son opinion me paraît très plausible. M. Goblot la rejette expressément : « Le choix, le rapprochement, la combinaison logique, l’acte synthétique de

  1. Mot de Frege, Grundlagen der Arithmetik.
  2. Il y a sans doute dans l’opinion contraire si répandue un souvenir de la théorie de Mill sur l’inutilité du syllogisme.