Page:Revue maritime et coloniale, tome 18.djvu/537

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environ. Les cases sont disposées par groupes réguliers entourés de palissades en bambous. Je fus conduit chez le chef, Guigré, qui demeure à l’extrémité ouest du village. Il nous reçut d’abord dans l’endroit destiné aux palabres ; c’est un grand rectangle long d’une cinquantaine de mètres, large de cinq ou six et bordé de chaque côté par les habitations des femmes ; des bambous disposés horizontalement à une hauteur de trois mètres préservent des rayons du soleil. Au fond se trouve l’estrade en terre battue où se placent les chefs. Aussitôt assis, nous fûmes entourés d’une foule nombreuse et bruyante dont les rangs pressés arrêtaient le peu d’air qui pouvait venir jusqu’à nous. Je demandai à Guigré de nous conduire dans un endroit moins accessible à la foule. Il s’empressa de nous introduire dans ses appartements réservés dont la richesse et l’originalité nous frappèrent vivement. C’est une réunion de petites maisons en terre disposées entre elles à angle droit et dont les galeries se font face ; l’intervalle qui sépare ces galeries, large de trois mètres, est garanti du soleil par des bambous disposés comme dans la salle des palabres. Tous les murs des galeries sont ornés de peintures à fresque dont le dessin et la couleur manquent certainement de correction, mais dont le réalisme et le pittoresque sont pleins d’intérêt. Ce sont des navires à la mer montrant dans leur intérieur à découvert toute la vie de l’équipage ; des scènes représentant l’embarquement de l’huile de palme ; des types d’hommes et de femmes du pays et surtout des types britanniques dans toute leur pureté. Cette œuvre de quelque matelot anglais eut le mérite de nous intéresser très-agréablement et, aux yeux des naturels, elle doit avoir la valeur d’un Titien ou d’un Raphaël. Des meubles en bois précieux, des glaces, des cristaux, des orgues de toute espèce, complètent la décoration.

Guigré est un bel homme d’une quarantaine d’années, à l’air distingué et intelligent. C’est le frère de Dozou, qui signa avec M. de Monléon le traité du 12 août 1855. La splendeur de son habitation est l’indice de sa richesse et de sa puissance. Il mit à faire les honneurs de chez lui la plus grande complaisance et surtout beaucoup de discrétion. Il partagea notre déjeuner, auquel il voulut à toute force adjoindre un supplément tiré de sa cave. Je m’entretins longuement avec lui des affaires du pays ; il protesta de son amitié pour les Français et de son désir de vivre avec eux en bonnes relations ; mais il est, avant tout, négociant, et son intérêt le porte vers les Anglais, qui lui procurent tous ses profits. Ses relations avec eux sont continuelles, et,