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discerné ni le point de vue général, ni le lien nécessaire qu’à nos périls et risques nous essayons de lui donner ici.

La musique que certains prétendent être la seule musique pure est la musique instrumentale ; et par là il faut entendre celle qui n’emploie que l’orchestre, quel que soit le nombre des instruments qui le forment. Avant d’examiner la composition instrumentale elle-même, voyons si l’orchestre passe pour n’être qu’une création artificielle, qu’un total de machines sonores conçu et organisé au-dessus ou au-dessous, dans tous les cas en dehors de l’homme et de sa faculté vocale. Interrogeons cette fois des théoriciens autres que ceux dont nous avons recueilli les jugements : leurs réponses prouveront combien est ancienne et générale l’idée philosophique qui est développée ici.

Il y a cent ans, un écrivain membre de l’Académie française et de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, homme de beaucoup de savoir et de sagacité ingénieuse, publiait un ouvrage intitulé : De la musique considérée en elle-même et dans ses rapports avec les langues, la poésie et le théâtre. Dans ce livre, Chabanon, que Fétis a traité avec la plus aveugle injustice, a répandu une foule d’observations psychologiques aussi fines que justes, qui étaient nouvelles alors et qui méritent d’être admises par l’esthétique actuelle. Pour le moment, je ne citerai que les deux lignes suivantes : « Lorsque la voix chante sans paroles, elle n’est plus qu’un instrument[1]. » Proposition d’une rigoureuse exactitude, dont la réciproque serait également d’une vérité incontestable et devrait s’écrire ainsi : « Un instrument musical est une voix qui chante sans paroles. » Mais alors l’orchestre tout entier n’est qu’un ensemble de voix chantant sans paroles : la conséquence est forcée.

Sous la plume des théoriciens, cette conception n’arrive pas toujours à la clarté et à la simplicité qu’elle comporte. Tel auteur qui ne souffre pas qu’une signification psychologique soit refusée aux phrases instrumentales, et qui exige qu’on y reconnaisse la présence de l’idée, ne va point cependant jusqu’à apercevoir et à dire que ce qu’il nomme une idée ne saurait s’exprimer, même très imparfaitement, qu’avec l’organe d’une voix. Ce dernier mot, qui est le mot Juste, manque encore. Mais on le sent venir. On est tenté de le souffler au maitre qui ne le trouve pas. Antoine Reicha écrit quelque part[2] : « Il est donc bien étrange d’avancer que la musique isolée et sans le secours des paroles n’agit que vaguement et ne présente

  1. Page 73.
  2. Traité de la mélodie, abstraction faite de ses rapports avec l’harmonie, Paris, 1814, page 129, note 1.