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doit en résulter un sacrifice hors de proportion avec l’avantage qu’en retirera l’autre partie ? Voilà bien des conditions qui rendent incertain et problématique, en l’absence de tout principe utilitaire, un devoir dont la formule générale exprime cependant, aux yeux de la morale intuitioniste, la plus manifeste et la plus stricte obligation !

Ces problèmes de casuistique peuvent être embarrassants : ils ne sont pas insolubles. Dans la première hypothèse, celle de la violence ou de la ruse, il est permis de penser que la promesse ne lie pas, car elle n’est pas faite par une volonté en pleine possession d’elle-même. — Dans la seconde, nous admettrons qu’on peut se croire dégagé si l’on a la conviction sincère qu’on l’eût été par la personne intéressée. Encore serait-il plus conforme à la perfection de rester malgré tout fidèle au pacte. La troisième hypothèse n’offre pas de difficulté. nulle promesse n’est obligatoire s’il faut pour l’accomplir violer la loi fondamentale de justice qui défend d’infliger à autrui un mal immérité. La quatrième question est à débattre entre les deux parties contractantes ; si l’imprudent qui a promis ne réussit pas à se faire rendre sa parole, il faut qu’il la tienne, quelque dommage qu’il ait à subir.

Nous ne voyons donc pas que le devoir ait ici ce caractère d’incertitude que lui attribue M. Sidgwick. Il nous répondra peut être qu’il s’est fait l’interprète du sens commun, et que le sens commun n’est pas aussi affirmatif que nous le sommes. Mais la morale intuitioniste ne s’exprime pas tout entière par les opinions du sens commun. Celuici peut être assuré de certains principes généraux, évidents par eux-mêmes, hésiter et se tromper dans les applications et les détails.

La vertu de la véracité est très-voisine de celle de la fidélité aux promesses. Est-ce un devoir absolu de dire en tout et toujours la vérité ? Non ; car on admettra qu’un médecin par exemple devra dans certaines circonstances dissimuler à un malade la gravité de son état. Qu’est-ce qui justifie cette exception et d’autres analogues, sinon l’utilité ? — Ici encore, je puis répondre, comme tout à l’heure, que l’obligation de ne pas mentir est parfois subordonnée à la règle plus générale et également obligatoire de ne pas causer à autrui un dommage immérité.

Nous ne suivrons pas M. Sidgwick dans la critique à laquelle il soumet successivement les différentes vertus : libéralité, tempérance, courage, humilité, etc. Ses conclusions sont toujours les mêmes, et il les résume avec une grande force dans un chapitre où la moralité du sens commun en tant que doctrine scientifique semble succomber sous le poids d’une condamnation sans appel. Résumons à notre tour ce résumé.

« Les maximes morales qui ont été passées en revue possèdent-