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Terenzio Mamiani. Compendio e sintesi della propria filosofia, Ossia nuovi prolegomeni ad ogni presente e futura metafisica. Torino, Paravia e Co, 1876.

Kant a tenté, dans ses Prolégomènes, d’enfermer à jamais l’esprit humain dans les limites du relatif. M. Mamiani demande que ce jugement soit révisé et s’efforce de rendre à la raison ses titres à la connaissance de l’absolu. Son ouvrage comprend deux : parties l’une dans laquelle il expose comment procède la faculté métaphysique, l’autre dans laquelle il repousse les objections élevées contre la légitimité de ses conceptions.

On a indiqué sommairement dans cette Revue la position fondamentale du platonisme italien : il se réclame de l’expérience. Cette position est singulière ; car si la connaissance de l’absolu est un fait d’expérience, il faut avouer que cette sorte d’expérience diffère entièrement de celle qui recueille les faits sensibles, et reconnaître qu’elle procède à priori, c’est changer le sens du mot expérience. Or n’est-ce pas abuser d’un mot que de lui prêter une signification toute contraire à celle que lui attribue la philosophie dans toutes les langues ? Veut-on dire que toute connaissance est a posteriori, la connaissance rationnelle comme la connaissance expérimentale ? nous demanderons, dans ce cas, à quoi sert cette confusion de termes et ce qu’on gagne à revendiquer un caractère qui, en cessant de s’opposer à son contraire, perd par cela même toute valeur ? De deux choses l’une : ou il y a des concepts à priori, et le concept de l’Être absolu est apparemment de ceux-là ; ou il n’y en a pas, tout concept est expérimental, et l’idée de l’Être devient ainsi une idée comme toutes les autres ; pour être expérimentale, elle n’en est pas plus vraie. Pourquoi ne pas s’en tenir simplement à l’ancienne distinction ? Est-ce qu’on croirait avec les « empiriques » que la méthode d’observation atteint seule la vérité ? La raison ne paraît-elle plus autorisée à affirmer la réalité de ses concepts ? Qu’on y prenne garde : c’est la métaphysique elle-même qui va se trouver atteinte par ce soupçon, car si l’existence de l’absolu dépend du témoignage de l’expérience, comme l’expérience ne saisit rien que de relatif, voilà la métaphysique condamnée. Descartes était plus catégorique : il eût cru renoncer à l’idée de cause première, s’il eût concédé à Gassendi que l’entendement ne la tirait pas de lui-même, antérieurement à toute expérience. Je sais bien que cette idée que nous expérimentons être en nous, est, suivant M. Mamiani, une idée qui ne vient pas des sens et que cette sorte d’expérience par laquelle nous l’y rencontrons est celle de la conscience : mais encore une fois voir dans l’entendement des concepts que le monde fini n’a en rien contribué à former, cela s’appelle dans toutes les langues concevoir à priori, suivre la méthode, non pas expérimentale, mais rationnelle ! Ces deux mots, comme les deux idées correspondantes, sont faits de telle sorte que qui affirme l’un exclut l’autre : le système de l’auteur plus que tout autre en interdit la réunion en un même sujet.

Cette équivoque dissipée, et la distinction maintenue entre les faits