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s’oppose donc à ce que notre substance pénètre la substance divine comme elle en est pénétrée. Du reste, il n’y a point de preuve apodictique qui puisse établir cette doctrine : elle repose sur un fait de conscience élémentaire et primitif que chacun peut constater, mais que chacun peut nier, s’il ne sait s’observer soi-même.

2° Mais comment le fini peut-il concevoir l’infini ? L’Être absolu est en dehors de l’espace et du temps ; comment un être étendu et durable saisira-t-il celui qui est exempt de ces deux conditions ? On répond, d’une part que la négation de la limite est ce qu’il y a de plus positif, et que concevoir l’inconditionné n’est pas une pensée vide de contenu, mais au contraire l’affirmation suprême. « Nous avons un concept clair et distinct de l’infini, sinon dans sa compréhension, du moins dans son extension. » D’autre part, cette idée ne peut provenir de comparaisons ni d’abstractions. Si on enlève aux choses finies les limites ou qualités abstraites qui les caractérisent, il ne reste plus rien. Au contraire, quand on ôte les limites ou qualités abstraites de l’Être absolu, son idée n’en devient que plus vivace et plus évidente dans l’esprit. Faut-il croire avec Kant qu’elle y est inhérente seulement comme condition de la pensée ? Mais est-il possible qu’une idée véritable soit sans objet ? Que si l’école critique soutient que cette représentation est illusoire, a-t-elle donc comparé la véritable idée de l’infini avec la fausse ? Qu’elle y songe : le fini qu’elle admet ne peut exister que par une limitation ; or, le néant ne limite pas (il nulla non limita). Il faut qu’elle nie ou qu’elle accepte à la fois les deux termes, le fini et l’infini. C’est par les vérités nécessaires dont on a vu que le principe d’identité est la source que l’esprit fini entre en communication avec l’infini ; elles forment, en effet, une série, une sorte d’échelle dont l’esprit ne peut remonter indéfiniment les degrés : il faut qu’il s’arrête, et ce terme supérieur où la régression idéale trouve son repos, cette vérité supérieure où viennent en quelque sorte se suspendre toutes les vérités dérivées, ne doit avoir ni prédicats ni relations avec les autres idées : elle est vérité en soi et par soi : elle est vérité absolue, inconditionnée. « Toutes les fois que vous m’opposerez le caractère fini de la pensée humaine, je vous répondrai que la pensée a deux rapports extrêmes, l’un avec l’esprit lui-même, l’autre avec l’objet absolu et que, du moment qu’un acte d’union intervient entre l’esprit et l’objet, cet acte ne peut aboutir qu’à la connaissance des deux natures ainsi unies. »

3° Le fini ne va-t-il pas s’absorber dans son union avec l’infini ? Après une brève indication des raisonnements sur lesquels on pourrait fonder la distinction des deux substances, l’auteur a recours comme de coutume au témoignage de la conscience. « On trouvera, dit-il, la preuve invincible de cette distinction dans l’expérience, car il est question ici non de conceptions et de notions, mais d’existences concrètes : après tout, les syllogismes les plus rigoureux tombent le plus souvent devant les faits bien constatés, dont l’évidence s’impose, immédiate et sans appel, à l’ignorant comme au savant. » Quel est donc ce fait décisif ?