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tulats (Voraussetzungen), considérés comme des vérités premières et impliqués instinctivement dans l’acte de la pensée lui-même, déterminent nécessairement l’objet et la direction générale du travail réfléchi. Une nouvelle période commence lorsque les résultats de la réflexion amènent l’esprit à se replier sur lui-même et à porter son examen sur sa nature propre, lorsque sont soumises à la critique d’une faculté plus liante des formes intellectuelles que jusqu’alors le sujet connaissant ne distinguait pas de lui-même.

Les postulats inconscients se manifestent avant tout dans la manière dont est déterminé par les différents penseurs l’objet de la philosophie, c’est-à-dire dans la nature des problèmes qui tiennent pour eux le premier rang. Toute question, en effet, implique certains postulats qui en sont les conditions préalables. Par exemple, la question de savoir quelle est la substance des choses implique la croyance que l’esprit peut connaître la substance des choses, de même que la question de savoir comment et dans quelle mesure nous connaissons les choses, implique l’incertitude de l’esprit sur sa capacité de tout connaître.

Une même période se continue tant que le problème philosophique est posé dans les mêmes termes ; et une nouvelle période s’annonce, lorsque la pensée philosophique, mise en suspicion par les résultats mêmes de son travail sur la légitimité des questions qu’elle avait posées, en vient à modifier plus ou moins profondément la nature de ces questions, et à assigner à ses recherches un nouvel objet. Ainsi[1] la philosophie antique, dont le postulat est l’harmonie de la nature et de la pensée, de l’objet et du sujet, cherche les principes des choses elles-mêmes ; la philosophie moderne, dont le point de départ est l’opposition chrétienne de la matière et de l’esprit, cherche avant tout les principes de la connaissance et de l’activité subjective, et ensuite les moyens de réconcilier cette réalité intérieure avec le monde externe ou la nature.

Identifiant instinctivement l’être avec le sensible, les premiers philosophes se demandent : Quels sont les principes du monde sensible ? Avec Socrate, l’esprit acquiert la notion claire d’un monde intelligible supérieur au monde des sens, et se demande : quels sont les principes du monde intelligible, et quel rapport existe-t-il entre les deux mondes ? Enfin, après Aristote, l’esprit prend nettement conscience de sa réalité subjective, c’est-à-dire de l’existence d’un monde moral proprement dit, et se demande : quels sont les principes du monde moral, et quel est le rapport qui unit le monde

  1. I, 110-146.