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ribot.m. taine et sa psychologie

lières, la vie de famille ; mais cette étude est abandonnée à l’initiative individuelle, sans procédés fixes : chacun emploie les moyens qu’il trouve bons. Aussi leur œuvre nous apparaît-elle plutôt comme celle d’un philologue ou d’un critique que comme celle d’un savant. Chez M. Taine, au contraire, l’interprétation des faits, contestable ou non, est systématique : les faits ne valent pour lui qu’autant qu’ils rentrent dans des cadres ou se groupent sous des formules.

Notons une autre différence. Entre la psychologie ethnographique (celle des Allemands et de quelques anthropologistes) et la psychologie générale (celle qu’admet tout le monde), M. Taine représente la psychologie individuelle, c’est-à-dire la décomposition analytique de l’individu sentant et pensant, l’étude monographique, faite en vue de la classification de l’individu et de la détermination d’un type. C’est même à cette forme de psychologie qu’il s’est le plus appliqué, comme le savent tous ceux qui ont quelque connaissance de son œuvre.

On lui a fait à ce sujet des reproches dont je suis loin de méconnaître la valeur et auxquels il souscrirait tout le premier. Le plus fréquent porte sur ses tendances trop systématiques ; reproche immérité, car dans une étude de cette nature on ne saurait trop se prémunir contre le danger d’être vague ; et il serait plus juste, à notre avis, de lui reprocher d’avoir quelquefois mis trop peu en saillie ces corrélations psychologiques, ces faits de balancement ; d’avoir voilé ces vérités scientifiques sous des formes littéraires. Lui-même le reconnaît dans son Essai sur La Fontaine : « Ces vérités sont littéraires, c’est à-dire vagues ; mais nous n’en avons pas d’autres à présent en cette matière, et il faut se contenter de celles-ci telles quelles, en attendant les chiffres de la statistique et la précision des expériences. Il n’y a pas encore de science des races. » Quoique la psychologie individuelle et ethnographique ait le grand désavantage d’être soustraite à toute mesure, à toute vérification précise, bref à tout ce que fait une véritable science, il serait à souhaiter qu’elle fût cultivée par des esprits bien doués et rompus à l’emploi des procédés scientifiques. Un bon nombre de monographies consacrées à des individualités, des races et des époques très-différentes, conduites suivant une méthode rigoureuse, avec la ferme intention de découvrir et de mettre en saillie les rapports constants, ne seraient pas sans résultat.

Malheureusement ces sortes d’études rencontrent beaucoup d’ennemis : les littérateurs, parce qu’ils n’admettent pas ces procédés de savants ; les savants, parce qu’ils en jugent l’emploi impossible. Nous ferons cependant remarquer à ces adversaires, s’ils veulent bien y