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germes d’idéalisme que contenait sa doctrine : ils ont négligé et paru complètement oublier les principes de réalisme critique, les éléments de solide mécanisme qu’elle renfermait. Ils se sont plus inspirés de la Critique de la Raison pratique ou de la Critique du Jugement, que de celle de la Raison pure. Lange place, au contraire, la dernière au-dessus des deux autres, et n’hésite pas à y voir le résultat capital, l’originalité durable de la philosophie critique. En elle, en tout cas, sont réunis les éléments de la conciliation poursuivie entre la science et la spéculation, entre le réel et l’idéal.

Sans doute, avant Kant, les grands penseurs n’avaient jamais séparé la philosophie et la science. La plupart d’entre eux, comme Descartes et Leibniz, par exemple, n’étaient pas des génies moins originaux comme savants que comme philosophes. « Avec Kant, comme dit Du Bois-Reymond, finit la série des philosophes, qui, non contents d’être parfaitement au courant de toutes les découvertes de leur temps, prenaient part eux-mêmes aux travaux des savants. »

Kant n’était pas non plus le premier qui eût compris toute l’importance et l’étendue des principes du mécanisme. Descartes, Spinoza, Leibniz, ne professaient-ils pas résolument que tout se passe dans le monde des corps, comme s’il n’y avait pas d’esprits ?

Mais c’est de Kant surtout qu’on peut dire qu’il n’y a aucun système philosophique a auquel il soit moins contraire qu’au matérialisme. » « L’homme qui, le premier, développa la théorie de la formation des corps célestes par l’effet de la simple attraction de la matière diffuse ; qui avait reconnu à l’avance les principes du Darwinisme, et qui n’hésitait pas à déclarer, dans ses leçons publiques, que l’homme avait probablement débuté par l’état animal avant de s’élever à la forme humaine ; qui écartait le problème du siège de l’âme comme une question déraisonnable ; et laissait assez souvent entrevoir que le corps et l’âme étaient pour lui une seule et même chose, vue seulement à travers des organes différents : un tel homme ne pouvait avoir à apprendre beaucoup du matérialisme. » Que Kant se prononçât sur tous les problèmes de la science dans un sens rigoureusement scientifique, cela ne saurait faire l’ombre d’un doute. Cette assertion n’est nullement contredite par l’essai sur « Les principes métaphysiques de la science de la nature, » qui n’est qu’une tentative d’explication à priori des axiomes admis d’avance par la science, et dont l’objet tout métaphysique est en dehors du cercle des recherches empiriques.

Mais si les idéalistes de la première moitié de notre siècle ont eu tort de méconnaître ce côté éminemment réaliste de la philosophie