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nolen.l’idéalisme de lange

pensée. Tous les hommes sont loin, selon lui, de reconnaître l’existence d’un créateur intelligent du monde et distinct de son œuvre. « Le fait seul qu’il existe des matérialistes suffirait à le prouver. Les plus grands penseurs de l’antiquité et des temps modernes : un Démocrite, un Héraclite, un Empédocle, un Spinoza, un Fichte, un Hegel, ne le démontrent pas moins par leur exemple. »

Quant à la liberté, on ne saurait en établir scientifiquement ni la réalité, ainsi que le reconnaît Kant, ni même la possibilité, qu’il soutient, en la reléguant toutefois dans le monde intelligible. Les catégories, en effet, qui président à la connaissance démonstrative, ne permettent de rien affirmer en dehors du cercle de notre expérience. Que serait cette liberté intelligible, qui doit produire ses effets dans un monde où l’on affirme pourtant que tout est régi par les lois du déterminisme le plus impérieux ? La contradiction n’est-elle pas flagrante ? La liberté n’est, au fond, qu’un idéal, dont le prix poétique a été parfaitement mis en lumière par Kant, mais qui ne saurait avoir rien de commun avec la réalité. « L’idée de l’absolu du devoir n’a en fait qu’une force relative. Mais cette force relative est d’autant plus grande que l’homme entend mieux dans toute leur pureté, leur clarté et leur autorité, les ordres absolus de la voix du devoir. L’idée du devoir, qui nous crie : « tu dois » ne peut agir sur nous fortement, si elle n’est pas liée à l’idée que nous pouvons réaliser cet ordre. » Et voilà pourquoi il faut, en pensant à l’idée du devoir, s’enflammer par l’idéal de la liberté, tout en sachant bien que cet idéal n’a pas de réalité. Schiller a merveilleusement parlé de la liberté. Il est, en ce sens, le vrai maître de l’Idéal… Schiller « pouvait oser, (ce que Kant n’avait pas fait) transporter ouvertement la liberté dans le royaumes des ombres et des songes : c’est que, sous sa main, les ombres et les songes (les fictions de la poésie) étaient élevées à la dignité de l’Idéal. »


La philosophie de Lange prend à tâche, on le voit, de se présenter à nous sans aucune des réserves et des hésitations de la pensée ou du langage de Kant. Mais, en voulant lui communiquer plus de rigueur et d’unité, il lui arrive trop souvent de la dénaturer.

Avant tout, il méconnaît gravement le sens du Kantisme, en considérant comme une superfétation du système la philosophie morale de Kant, et en rejetant le primat de la raison pratique. Il en est puni par les malentendus et les erreurs de la critique qu’il dirige contre la théorie de la raison pure.

Il nie la déduction transcendantale, et prétend faire reposer sur le