Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, IV.djvu/67

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se fût réfugié dans l’hypothèse de la déclinaison [1]. » « C’est, dit-il encore par le mouvement spontané de déclinaison qu’Épicure croit possible d’éviter la nécessité du destin. Il mit en avant cette hypothèse parce qu’il craignit que, si toujours l’atome était emporté par la pesanteur naturelle et nécessaire, nous n’eussions rien de libre ; car l’âme serait mue de la même manière, de sorte qu’elle serait contrainte par le mouvement des atomes. Démocrite, lui, l’inventeur des atomes, avait mieux aimé accepter que toutes choses se fissent par nécessité, que d’ôter aux atomes leurs mouvements nature rels [2]. » Démocrite et Épicure sont d’ailleurs aussi logiques l’un que l’autre ; le premier, admettant partout dans le monde la nécessité, la plaça aussi chez l’homme ; le second, admettant la liberté chez l’homme, se vit forcé d’introduire aussi dans le monde un élément de contingence. Le véritable désaccord entre Démocrite et Épicure roule donc bien sur cette question : sommes-nous libres, ou non, et plus généralement : — y a-t-il en toutes choses spontanéité ou fatalité absolue ? — C’est à cette alternative que se ramène celle de la déclinaison spontanée ou du mouvement nécessaire ; c’est ce problème moral qu’Épicure a transporté à l’origine des choses et dont il a fait le problème même de la création.

Ni Épicure ni Lucrèce ne se dissimulaient combien ils choqueraient l’opinion en lui proposant l’idée d’une déclinaison spontanée. « Quelle est, demande Cicéron, cette cause nouvelle dans la nature, pour laquelle l’atome décline [3] ? » Supposer que, sans détermination physique ou mathématique, sans force fatale venue du dehors ou placée au-dedans, les atomes dévient et déclinent d’une manière qui échappe au calcul (ratio), cela est incompréhensible ; et tant qu’il s’agit d’atomes, de lignes droites et de lignes courbes, notions purement géométriques, tout l’avantage semble rester aux « physiciens ; » mais il n’en est plus ainsi selon Épicure lorsque, rentrant en nous-mêmes, nous réclamons pour nous cette liberté que nous refusons

  1. De fato, 20. « Qui aliter obsistere fato fatetur se non potuisse, nisi ad has commentitias declinationes confugisset. »
  2. Ibid., 10. « Epicurus declinatione atomi vitari fati necessitatem putat… Hanc Epicurus rationem induxit ob eam rem, quôd veritus est ne, si semper atomus gravitate ferretur naturali ac necessariâ, nihil liberum nobis esset, quum ita moveretur animus, ut atomorum motu cogeretur. Hinc Democritus auctor atomorum accipere maluit, necessitate omnia fieri, quàm a corporibus individuis naturales motus avellere. » — De nat. deor., I, 25. « Epicurus, quum videret, si atomi ferrentur in locum inferiorem suopte pondere, nihil fore in nostrâ potestate, quod esset earum motus certus et necessarius, invenit quo modo necessitatem effugeret… Ait atomum, quum pondère et gravitate direoto deorsus feratur, declinare paullulùm. »
  3. De Cicéron, De fato, 20.