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prend conscience d’elle-même, c’est l’Idée de cette transformation sociale imminente qu’il veut mettre en lumière.

I. Cette forme évolutive prochaine des sociétés humaines, c’est, disons-le tout de suite, l’organisation du travail au sein de l’association universelle des individus et des États. Notre orateur est, en effet, un socialiste ardent, un adepte enthousiaste des doctrines de Karl Marx dont il place les ouvrages sur le même rang que le livre de l’Origine des Espèces. L’évolution démontrée par Darwin dans l’ordre des êtres organisés inférieurs à l’homme est vraie aussi des sociétés humaines : à la lutte des espèces correspond la lutte des formes sociales de l’humanité, lutte signalée par trois phases historiques nécessaires : d’abord l’esclavage individuel, puis le servage féodal, enfin la domination actuelle du capital.

Est-il raisonnable de croire que nous sommes arrivés au dernier terme de cette lente transformation ? Non certes. C’est une loi de la nature inconsciente de réagir avec force contre tout ce qui est déraisonnable : frappez l’eau violemment avec la paume de la main, elle vous renverra un coup d’une violence égale ; écartez-la doucement d’avant en arrière à la façon du nageur, elle vous ouvrira d’elle-même un passage. Or l’absurde dans la société, c’est l’injuste, et par suite l’injuste est destiné à disparaître sous les efforts de la conscience humaine. Combien d’absurdités n’y a-t-il pas dans la domination actuelle du capital ?

M. L. Jacoby nous apprend ici comment il se représente l’organisation future du travail au sein de la société. Le travail existe sous trois formes : ou bien il est tout intellectuel, ou tout mécanique, ou il est à la fois intellectuel et mécanique. Par nature, l’homme est aussi bien un ouvrier intelligent qu’un agent mécanique. L’absurdité flagrante de l’organisation actuelle du travail, c’est qu’elle tend à restreindre chaque jour davantage la part de l’activité intellectuelle pour n’employer que des agents passifs : ainsi recherche-t-on passionnément le travail des enfants et des femmes. Le travail purement mécanique étant celui de l’esclave, c’est une rétrogradation. L’avenir est appelé au contraire à développer la conscience de l’individu, c’est-à-dire à provoquer l’effort intellectuel de chacun. Le mal a commencé avec l’invention et l’emploi des machines qui dispensent l’ouvrier de tout acte d’intelligence, tandis qu’autrefois l’outil de l’artisan n’était que l’auxiliaire de son cerveau pensant. Le remède, le moyen de délivrance, ce sera la machine elle-même. Comment ? par la diminution des heures de travail. Aujourd’hui en effet l’ouvrier sur 24 heures en consacre généralement 13 à son labeur quotidien ; étant reconnu qu’il lui faut de 7 à 8 heures de sommeil, et trois heures environ pour les besoins du corps, l’aller à l’atelier et le retour, il ne lui reste pas un instant dans toute sa journée qu’il puisse consacrer à quelque travail intellectuel. C’est là un vice manifeste du temps présent, et qui pis est, une injustice.

La solution proposée par M. L. Jacoby, c’est le socialisme ou l’orga-