Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome I, 1876.djvu/177

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particulière par l’intermédiaire de son appareil périphérique, puisse réagir aussi normalement que s’il avait reçu cette excitation, qu’il est improbable que l’on puisse se rappeler un fait que l’on n’a jamais éprouvé, de la même manière que l’on se rappelle un fait qui s’est produit antérieurement dans notre expérience. Ce qu’on appelle sensations subjectives, est produit des excitations de l’organisme, qui après avoir été excité des millions de fois d’une manière normale, a acquis ce mode de réagir aux excitations : de même qu’un membre acquiert par l’exercice des mouvements automatiques. Les sensations spéciales sont, pour ainsi dire, l’automatisme des sens.

Mais en accordant que cet automatisme puisse être transmis par hérédité, et que le nerf optique possède ce mode spécifique de réaction acquise, en vertu duquel il répond aux excitations internes par des sensations de couleur, nous ne justifions point par là l’hypothèse de l’énergie spécifique de substances spécifiques ; au contraire, nous avons complétement enlevé aux nerfs toute nature spécifique, pour la mettre dans les centres nerveux ; de sorte qu’au lieu de dire que tout nerf a son énergie spécifique en vertu de laquelle se produit une sensation spécifique, nous devrions dire que le sensorium est constitué par des substances différentes qui possèdent chacune des énergies spécifiques. C’est une hypothèse soutenable ; mais elle n’a aucune preuve directe en sa faveur ; et par contre c’est un fait que les centres nerveux sont constitués par ce que les physiciens et les chimistes s’accordent à reconnaître pour être une seule et même substance. Les seules différences que l’on puisse reconnaître sont des différences anatomiques, c’est-à-dire de distribution et de connexion. Mais ces différences suffisent amplement pour expliquer les différences d’usages et de fonctions. Les différences anatomiques des appareils respiratoires, digestifs ou moteurs, expliquent les différences de leurs fonctions. Si les usages du cerveau sont différents de ceux du cervelet, et si les usages du cervelet et du cerveau diffèrent de ceux de la moelle épinière, les dispositions anatomiques ne fournissent-elles pas une explication suffisante ? Il faut insister sur ce point parce que, même en acceptant l’existence de substances hypothétiques qui auraient des énergies spécifiques, on doit reconnaître que les différences anatomiques sont des facteurs indispensables.

G. H. Lewes.