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DE L’HABITUDE




À mesure que la théorie de l’évolution et l’explication positive des phénomènes de la nature gagnent du terrain dans les sciences et la philosophie, l’habitude, dans laquelle Auguste Comte signalait avec raison « une des principales bases de la perfectibilité graduelle des animaux, et surtout de l’homme[1], » doit acquérir nécessairement une plus grande importance non-seulement en psychologie et en physiologie, mais encore en métaphysique. L’habitude en effet se présente à nous comme un fait universel, comme un des attributs de la force envisagée sous le point de vue le plus général. On se plaisait autrefois à considérer les facultés, les fonctions, les propriétés comme autant de pouvoirs essentiellement inhérents à telle ou telle substance particulière, irréductibles, modifiables seulement dans certaines limites déterminées et manifestant simplement dans les phénomènes une partie de ce qu’elles renfermaient à l’état latent. Aujourd’hui au contraire, c’est une tendance générale en philosophie que de résoudre toutes les propriétés physiques ou biologiques et même les fonctions de l’intelligence, en forces élémentaires, à ne voir partout que des manières d’être acquises soit dans les relations avec le milieu, soit dans le développement d’un individu, soit dans l’évolution d’une espèce. La notion de l’habitude répond mieux qu’aucune autre à cette idée d’acquisition progressive, engendrée dans une force sous l’action d’une cause extérieure, fortifiée par la répétition et transmissible chez les êtres vivants au moyen de l’hérédité. Au lieu de la considérer comme une seconde nature, venant modifier ou seulement masquer la première, on en arrive à présenter la nature même des êtres comme un résultat d’habitudes, les organes comme des produits d’habitudes se surajoutant les unes aux autres et les individualités vivantes comme autant de systèmes d’habitudes réagissant les unes sur les autres, dans un équilibre incessamment variable.

  1. Philosophie positive, 45e leçon.