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avec enthousiasme, sans se douter que, par ses tendances fatalistes et sceptiques, elle était en pleine contradiction avec les principes de la Révolution Française. La déclaration des droits de l’homme, en effet, est un chapitre de métaphysique morale : et la nouvelle école nie toute métaphysique. Au fond des revendications démocratiques, il est facile de distinguer la croyance à la liberté, la croyance au droit : et la nouvelle école traite la liberté de chimère, réduit la conscience à une collection d’habitudes, et identifie le droit et la force. Il suffit de lire l’Introduction à la science sociale de M. Spencer, et l’Ancien régime de M. Taine pour mesurer l’erreur des démocrates qui vénèrent comme leurs maîtres des philosophes empiriques, adversaires décidés de toute révélation rationnelle et de tout principe immuable. On sait avec quelle vigueur de raisonnement, et nous ajouterons avec quelle verve de sophisme M. Spencer attaque quelques-unes des thèses les plus chères à l’esprit nouveau, par exemple l’efficacité de l’instruction. On sait aussi avec quel mépris des droits individuels, renouvelant les théories cruelles de la république de Platon, où la santé était un devoir, et la maladie un crime, M. Spencer condamne à disparaître de la société « tous ceux qui sont faibles de corps. » M. Caro proteste avec éloquence contre une philosophie étrange, qui sous un faux air de libéralisme est la plus rétrograde de toutes ; contre cet absolutisme d’un nouveau genre qui sacrifie la personne à un prétendu intérêt général, et qui repousse la charité comnle un attentat social, sous ce prétexte que la charité perpétue la faiblesse, la maladie et les infirmités !

M. Caro est resté fidèle à l’esprit, à la méthode de ses travaux antérieurs et, en écrivant les Problèmes de morale sociale, il a voulu, dans l’ordre des questions pratiques, donner comme un pendant au livre de l’Idée de Dieu.

Deux méthodes au moins (nous ne parlons que des plus saillantes) sont aujourd’hui en présence, dans la composition des écrits philosophiques : l’une que nous appellerions volontiers la méthode anglaise ; l’autre qui est restée en général, et qui avec quelques modifications restera sans doute la méthode française. Ceux qui emploient la première songent avant tout à recueillir des faits, à prodiguer les informations ; ils mettent à contribution tous les ordres de science, comme M. Spencer, ils explorent le monde entier, comme M. Darwin ; ils usent et ils abusent de l’hypothèse ; ils raisonnent à outrance, ils ne tiennent aucun compte des vieux sentiments de l’humanité ; ils préfèrent le paradoxe au préjugé : leurs livres sont comme des recueils impersonnels d’observations, comme de vastes entrepôts de faits et de conjectures. La méthode française est tout autre. Elle use sans doute du raisonnement, mais avec discrétion ; elle fait appel aux faits, mais avec mesure ; surtout elle jette dans la balance le poids des convictions personnelles exprimées avec force, avec chaleur ; elle se rattache à l’éloquence, non moins qu’à la science ; elle est un plaidoyer plus encore qu’une démonstration ; elle s’inspire des exemples de Platon, ce maître à la fois dans