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IX. — Conception historique du monde.

Frauenstaedt reconnaît qu’il est nécessaire de passer également dans la théorie de l’art et de l’histoire, de la conception non historique de Spinoza et de Schopenhauer à la conception historique de Hegel et de Schelling. Dans sa 36e lettre il appelle la théorie esthétique de Lindner un complément indispensable de celle de Schopenhauer, en tant qu’elle considère le devenir historique de l’idéal esthétique dans son enchaînement causal avec l’histoire de la civilisation et avec le développement de la religion. Je m’étonne seulement qu’il ne se soit pas rappelé que cette doctrine a été développée par Hegel et son école d’une façon plus large et plus profonde que par Ernest Otto Lindner.

Dans sa 34e lettre, Frauenstaedt expose que dans les manuscrits de la jeunesse de Schopenhauer l’histoire était obligée de partager sa position subordonnée avec la science et que ce philosophe s’est seulement décidé plus tard à mettre la science à peu près au niveau de l’art et de la philosophie, en sorte que l’histoire resta la seule Cendrillon. Schopenhauer regardant le temps comme une simple forme subjective de l’entendement, tout ce qui se produit, tout ce qui arrive n’est à ses yeux qu’une apparence purement subjective, dépourvue de toute vérité par rapport à l’être éternellement immuable. C’est pourquoi il considère l’histoire comme « le rêve long, pesant et confus de l’humanité, » où il n’y a ni enchaînement logique raisonnable, ni plan, ni progrès, où aucun fait nouveau ne se produit, mais dans lequel les mêmes événements se répètent sous différents costumes. Le souvenir de ce long rêve, confus et inquiétant, n’a de valeur pour l’humanité que parce qu’elle lui donne la conscience d’avoir rêvé jusqu’ici et parce que cette conscience est la condition du réveil (c’est-à-dire de la négation de la volonté). C’est seulement en ce dernier sens que l’histoire doit être considérée d’après Schopenhauer « comme la raison ou la conscience réfléchie du genre humain. » À aucune époque de sa vie, il n’a su s’émanciper de ce mépris pour l’histoire, et c’est là la meilleure preuve qu’il n’a jamais rompu avec l’idéalisme subjectif. Pour Frauenstaedt qui a définitivement accompli cette rupture, il était bien facile de corriger cette opinion de Schopenhauer, et la lettre 35e, qui a trait à cette question, doit être comptée parmi les parties les plus intéressantes de son livre.

Il dit : « D’après tout cela il semble que Schopenhauer a eu tort d’opposer ainsi l’histoire à la science, à l’art et à la philosophie ; l’histoire