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REVUE POUR LES FRANÇAIS

en resta toujours aux formes extérieures et il le tint en somme dans une sorte de vasselage persévérant. D’autre part, aucun péril extérieur ne menaçait ses États. Les Arabes divisés, les Avars bien plus attirés vers le riche et chancelant empire grec que vers les rudes et pauvres cités occidentales, les Saxons enfin impuissants à combattre loin de leurs forêts ne constituaient point des menaces sérieuses. Mais un état d’esprit plus instinctif que raisonné dominait alors dans tout l’ouest de l’Europe et Charlemagne s’y inféoda au point d’en devenir la vivante expression. Le christianisme était considéré comme la clef unique de tout progrès, de toute sécurité, de toute paix. Il y avait au fond des cœurs simples quelque chose de la croyance naïve qui se manifeste, de nos jours, dans certains groupements socialistes. Quand le monde entier serait chrétien, le paradis s’organiserait sur terre. L’opinion publique d’alors (dans ces temps démocratiques, elle avait beaucoup plus de poids qu’elle n’en eût lorsque la féodalité fut organisée) désirait passionnément voir reculer par n’importe quel moyen les limites du paganisme et ne désespérait pas de son anéantissement final. Charlemagne apparut comme le champion de cette cause sacrée. Il apparut prestigieux, superbe et bon, accessible à tous et obstiné dans sa mission. Il s’attaqua d’abord aux Saxons[1] lesquels n’occupaient pas la Saxe actuelle mais le pays situé sur la rive gauche de l’Elbe (le Hanovre d’aujourd’hui). Il leur fit une guerre acharnée qui ne se termina qu’au bout de trente ans par leur soumission complète ; entre temps, il dompta les peuplades slaves échelonnées entre l’Elbe et l’Oder, conquit le duché autonome de Bavière sur le duc Tassillon, gendre de Didier, roi des Lombards et l’annexa à ses États, poursuivit les Avars et s’empara de leur camp central situé aux environs du lieu où s’élève aujourd’hui Budapest et que remplissaient les richesses enlevées par eux en Grèce et à Constantinople. À l’autre bout de l’Europe, il avait refoulé les Sarrasins d’Espagne jusque sur les bords de l’Èbre et créé des États qui devinrent plus tard le comté de Barcelone et le royaume de Navarre. En Italie, il avait abattu le royaume lombard et s’était fait roi d’Italie. Le duché de Bénévent qui occupait le sud de la péninsule lui payait tribut.

  1. Il y avait alors trois cents ans qu’une partie des Saxons ayant envahi la Grande-Bretagne, s’y étaient établis et y avaient fondé les royaumes d’Essex, de Wessex, de Sussex et de Kent.