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REVUE POUR LES FRANÇAIS

l’avaient dès longtemps ruinée et ce fut le Consul d’Angleterre à Beyrouth qui dut payer les frais de ses humbles funérailles.

Après cela tous les autres « fantaisistes » pâlissent, même Théodore roi de Corse et Orélie roi d’Araucanie. Le premier était un allemand le baron de Neuhoff d’humeur changeante et de bourse toujours vide ; il avait rempli diverses missions auprès de Charles xii de Suède puis d’Alberoni ; plus tard, en Italie, un moine le mit en relations avec des réfugiés corses qui ne parlaient que d’émanciper leur île. Il fallait de l’argent ; Neuhoff en emprunta à un chirurgien français et à deux religieuses dominicaines ; mais ce fut le Bey de Tunis qui lui procura le vaisseau et les munitions nécessaires à son débarquement lequel s’opéra en 1736. Théodore ayant débarqué et s’étant proclamé lui même, n’eut rien de plus pressé que de fonder un ordre de chevalerie compliqué et décoratif… après quoi il se rembarqua. Nous ne le suivrons pas dans ses aventures qui ne le ramenèrent en Corse qu’une seule fois pour quelques semaines ; il s’y était peut-être créé des droits, mais n’avait pas su s’y former assez de sujets fidèles pour les soutenir.

On doit cette justice à Jean Thonnens, fils de cultivateurs et clerc d’avoué à Périgueux qu’il tint — en jetant les yeux sur l’Amérique du Sud — à ne prendre le royaume de personne ; l’Araucanie était terre libre. Bien baroque en tous cas la passion qui s’éveilla dans son cerveau de gratte papier pour ce sol lointain et ses sauvages habitants. Il l’entretint avec une persévérance surprenante, il parvint à gagner le Chili, et après deux ans d’études franchit en 1860 la frontière d’Araucanie. Tout de suite, il fit part de son « avènement » au président du Chili, et par un décret rendu dans quelque clairière de forêt, il annexa la Patagonie à ses possessions. Qu’en pensèrent les Indiens ? On n’a jamais bien su. Ils aimèrent probablement la haute taille, la belle tournure et la barbe abondante de Sa Majesté, mais ne comprirent point ses décrets et ses proclamations. Fait prisonnier par les Chiliens, acquitté comme aliéné, embarqué malgré lui à destination de la France, Orélie, toujours sans argent, réussit quand même à reparaître en Araucanie en 1869, et il est certain que si à ce moment la France l’avait soutenu, il s’y fut maintenu, mais, il y avait à la base de son entreprise quelque chose de trop ridicule pour que l’opinion s’y intéressât. Ce fantaisiste n’en fut pas moins un entêté et un énergique.