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DE LA CROYANCE


C’est un véritable service que M. Cl. Gayte a rendu à la philosophie en publiant son Essai sur la croyance[1] et en ramenant l’attention sur un sujet si important. Aucune philosophie ne devrait s’en désintéresser ; presque toutes le négligent ou l’esquivent. L’empirisme et le positivisme se devraient à eux-mêmes de dire comment ils définissent la certitude, et quelle différence ils font entre croire et être certain ; ils laissent généralement cette question de côté. Le spiritualisme a toujours compris l’importance du problème de la certitude : sauf quelques exceptions[2], il prête moins d’attention à la croyance. Il n’est pas même facile de dire dans quelle partie de la philosophie cette question devrait trouver sa place. Les psychologues ne s’en occupent guère, parce qu’il leur paraît qu’elle appartient aux logiciens. Les logiciens, tels que Stuart Mill, la renvoient aux métaphysiciens. Mais les métaphysiciens ont bien d’autres visées. Pressés d’arriver aux conclusions qui leur tiennent au cœur, ils l’oublient ou l’ajournent. C’est pourtant par là qu’il faudrait commencer.

Dans la philosophie généralement enseignée en France, la croyance est considérée comme tout à fait distincte de la certitude ; elle est autre chose, si elle n’est pas le contraire, et elle est fort au-dessous. C’est une sorte de pis-aller dont on ne se contente qu’à regret et qui, par suite, ne mérite guère qu’on s’y arrête. L’œuvre propre du philosophe est de chercher la certitude ; c’est à elle seule qu’il a affaire. Rien de mieux, assurément, et ce n’est pas nous qui contesterons le devoir qui oblige tout philosophe à donner son adhésion à toute vérité clairement et distinctement aperçue. Nous n’avons garde de méconnaître ce qu’il y a de noble et d’élevé dans cette manière de comprendre le rôle de la philosophie ; nous savons les dangers

  1. Paris, Germer Baillière, 1883
  2. Il y a sur ce sujet des pages intéressantes dans le Traité des Facultés de l’Ame d’Ad. Garnier.