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LES FANTÔMES BLANCS

— Je comprends, dit-il… Odette avait reconnu son vieil ami. Elle vint lui tendre son front.

— Ah ! capitaine, qui je suis contente de vous voir, dit-elle. C’était si bon, autrefois, chez nos amis Jordan avec Lily.

— Vous les reverrez tous dans quelques mois, ma petite. À présent, il faut continuer notre route ; vous n’aurez pas peur de traverser cette grande forêt ?…

Odette jeta un regard sur les chasseurs, qui souriaient, gagnés par cette candeur d’enfant maladive… Elle vint tout près du vieux Breton :

— Voulez-vous me dire votre nom ? demanda-t-elle.

— Le père Yves, mam’zelle.

Odette s’appuya sur le bras du vieux marin :

— Vous serez papa Yves, dit-elle. Avec vous et le capitaine, je puis aller loin.

— Ah, ma doué ! s’écria le Breton, ce qu’elle est gentille tout de même, la chère mignonne !…

Et la petite caravane se remit en marche.

Le soir venu, on improvisa une cabane de branchages, où les deux femmes purent se reposer. Les hommes s’étendirent auprès du feu.

Ce fut vers les quatre heures, le lendemain soir, que nos voyageurs arrivèrent en vue du camp. Cette fin d’après-midi, pleine de soleil, mettait en relief les constructions grossières, où quelques petites branches, laissée aux troncs d’arbres, conservaient encore leurs feuilles. Odette battit des mains :

— Oh ! les drôles de maison, dit-elle. On croirait qu’elles ont poussé là toutes seules. C’est beau ici, capitaine, et je vais-m’y plaire beaucoup.

Tous les chasseurs étaient là pour recevoir les officiers. À la vue des femmes, le père Vincent grommela entre ses dents :

— Bon, des « créatures », ils ne manquaient plus que ça…

— Tais-toi, vieux grognard, dit Jacques. Cette bonne vieille nous sera très utile pour soigner nos habits et nous-mêmes. Et la demoiselle nous portera bonheur…


CHAPITRE VI
PAUVRE MARGUERITE !


Nous avons laissé Marguerite Merville aux prises avec la maladie. Pendant de longues semaines, son état inspira beaucoup d’inquiétudes à ses amis. Enfin un soir, elle ouvrit les yeux et sourit à Lilian qui se trouvait près du lit.

— Lily ! dit-elle. Où suis-je donc ? Est-ce un rêve ?…

Mme Jordan la serra dans ses bras, pendant que Harry, agenouillé près du lit, embrassait ses petites mains pâles.

— Vous êtes là tous, reprit la malade, dites-moi que je ne rêve pas ?…

— Non, dit Lilian, tu ne rêves pas, chérie. Tu vis, tu nous es rendue. C’est un douce réalité.

Marguerite sourit faiblement ; elle essayait de rappeler ses souvenirs, mais c’était trop pour ses forces. Elle se renversa en arrière et ferma les yeux.

— Laissez la reposer, dit le docteur qui était présent. Elle va dormir et je la crois sauvée. Seulement, pas d’émotion. Avez-vous des nouvelles de sa sœur ? ajouta le médecin à voix basse.

— Non, mais elle n’est plus chez sa belle mère ; elle a disparu le lendemain de la tentative d’enlèvement auquel j’ai arraché Marguerite. Mon ami, Georges de Villarnay, et sa servante sont disparus en même temps. Le docteur secoua la tête.

— J’ai eu l’occasion d’apprécier M. de Villarnay pendant sa longue maladie, dit-il. C’est un parfait gentilhomme qui n’est pour rien dans cette disparition. Il a, sans doute, été victime lui-même de quelque complot ténébreux.

— Mes soupçons se portent sur un pirate du nom de Kerbarec, sur le vaisseau duquel Laverdie devait transporter Marguerite. Cet individu devait connaître tout ce qui concernait les demoiselles Merville et Georges. Voyant son complice mort, et la récompense lui échapper, il s’est emparé d’Odette et de Georges qui possède les titres de la fortune des orphelines, et qui se trouve, de plus, le fils d’un comte immensément riche. Double chantage pour un scélérat tel que ce Kerbarec.

— Vous m’avez parlé d’un homme entrevu par vous, le soir du crime ?

— Oui, un quidam du nom de Ménard. On a interrogé son père, un cabaretier de la Basse-Ville ; il jure ses grands dieux que son fils n’a pas reparu. Mon cousin, Murray, a envoyé un émissaire à St-Thomas ; Mme Merville n’a pu lui répondre, le délire ne la quitte pas. Cet homme a fouillé la maison de Georges restée ouverte. Tout y indiquait un départ qui ressemblait à une fuite, mais pas un indice qui pût le mettre sur la trace des disparus.

À partir de ce jour, la convalescence commença pour la jeune fille. Elle s’était informée de sa sœur à plusieurs reprises, et, on lui avait répondu qu’Odette était bien portante et que Georges était bien certain de la guérir.

Le jour où Marguerite fut assez forte pour s’asseoir à la table de famille, Harry lui passa au doigt une magnifique bague, don du général Murray à sa future cousine, et lui apprit en même temps la mort du misérable Laverdie.

— Que Dieu lui fasse miséricorde ! murmura la jeune fille. Ô Harry ! c’est le calme pour nous, maintenant.

— Oui, aussi il faut soigner cette précieuse santé, afin d’être bientôt vaillante et forte.

— Je le veux bien, mais pour cela il me faut Odette. Vous irez la chercher, mon ami, ajouta Marguerite, en tendant les deux mains à son fiancé. Celui-ci avait pâlit.

— Vous ne répondez pas… vous pâlissez !… On me cache quelque chose… Parlez, je n’ai donc pas fini de souffrir ?…

— Par pitié, calmez-vous, ma pauvre chérie, dit le jeune homme que l’exaltation de la pauvre enfant effrayait. Ayez du courage. Odette n’est plus chez Mme Merville. Elle est partie avec Georges…

— Partie !… elle, ma petite Odette… Et où sont-ils ?

— Nous l’ignorons, mais vous connaissez Georges… Avec lui, Odette est en sûreté, soyez en sûre.