Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/232

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fais, d’aujourd’hui, habiter le cabinet de toilette ; c’est un changement qu’il faudrait un peu plus tard, car le sieur Choquet[1] travaillera sans doute dans l’autre chambre, à ton retour.

Cependant je ne m’interromps pas encore la nuit ; par ménagement d’abord, puis aussi par défaut d’abondance, et l’enfant n’étant pas dans ma chambre, je ne suis point réveillée quand il faut le changer, etc.

J’ai eu quelques craintes, sur l’expression de M. Tolz. [Tolozan] des lettres pour d’autres que toi[2], qu’il n’eût retenu mon paquet de missives ; mais, par réflexion, je juge que celui-là n’était pas encore arrivé alors.

On nous dit, dans nos marais, que la reine est déjà grosse. Peste ! ces gens-là y vont en princes ! On fait chanter au frère : Vous m’entendez bien, assez méchamment. On écrit ici de Versailles Mme d’Artois condamnée et perdue ; les papiers publics disent le contraire ; tout est comédie comme les fêtes que l’on doit donner[3]. Pour nous, gens graves, nous nous moquons bien des autres, mais nous n’aimons pas pour rire.

Adieu, mon cher maître.

  1. Choquet, inconnu.
  2. Roland écrivait, le 7 janvier, que l’Intendant Tolozan grondait au sujet des lettres expédiées sous son couvert.
  3. Les fêtes que la ville de Paris préparait pour la naissance du dauphin Louis-Joseph-Xavier-François, né le 22 octobre 1781. Roland, dans une lettre du 22 janvier (ms. 6240, fol. 132-133), décrit ainsi la fête : « … lundi, me disposant à aller prendre part aux badauderies, bien résolu de m’en tenir à une courte portion et de rentrer de bonne heure, arriva le Longponien. — Allons, allons, j’arrive dans le moment, je repars demain de bonne heure, il faut employer le temps et voir tout ce qu’il est possible de voir. — Nous partons ; la Reine arrive à la cathédrale, nous la voyons passer, puis repasser dans la rue Saint-jacques, etc… ; puis le feu, qui, par parenthèse, fut manqué et remarqué ; puis les illuminations de la Grève ; celles des places Vendôme, Louis XV, des Palais-Royal, Bourbon, etc… Enfin tout Paris, à travers la populace et les carrosses, dans la boue et la bagarre. Le Roi et la Reine étant partis sur les huit heures, toutes les sentinelles se sont repliées, les Gardes française et suisses sont retournées à leurs casernes, et le peuple a été livré à sa sagesse, sinon à sa folie. Beaucoup de vols ; on ne parle guère des morts ni des blessés dont nous aurions pu faire partie sans miracle, ayant été bien des fois le jouet des flots, entre les chevaux, les voitures et les bornes. De femmes s’y trouvaient aussi ; Dieu sait comme elles s’en tiraient ! Bref nous nous sommes perdus. M. Lanthenas