Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/481

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et vraie ; les ballets sont ordonnés avec beaucoup d’intelligence ; l’air de danse qui termine cet acte est plein d’esprit, d’agrément et de volupté. Dans les actes suivants, il y a des monologues d’Hypermnestre de plus la grande beauté, un air délicieux de Lyncée avec elle, et définitivement un grand fracas, beaucoup de bruit point déplacé, mais dont le caractère ne ma pas frappée cette première fois. La Sainte-Huberti[1] me plaît infiniment pour sa voix, son chant est son jeu ; sa voix est flexible et sonore ; son chant pur, vrai, nuancé ; son jeu spirituel et passionné. Elle n’est pas jolie, dit-on, mais elle paraît bien sur la scène ; elle a des bras dont elle tire grand parti pour l’effet et l’expression : c’est au total un sujet très distingué et très intéressant. La Guimard[2] ne fait plus que des pas, mais on l’applaudit toujours, parce que toujours elle a des grâces. Vestris[3] est à Londres ; c’est un Niblond[4] qui se distingue pour la danse. Moi j’avoue que tous ces héros dansants me paraissent assez ridicules ; peut-être des danses militaires des hommes entre eux me sembleraient-elles plus vraisemblables et mieux dans les convenances ; malgré la fête qui justifie la gaieté de ceux-ci, je ne puis aimer des hommes en chlamyde figurant avec des femmes : cela n’est bon qu’à des bergers. Au reste, j’ai remarqué avec plaisir que les tonnelets des hommes et les paniers des femmes sont également bannis. Enfin les Danaïdes sont, supérieurement à tout autre opéra, le spectacle des yeux : scènes remplies, tableaux gracieux, imposants et terribles, c’est une succession de grandes images qui, je le répète, occupent et amusent, et auxquelles les charmes de la musique donnent de la vie et de l’intérêt. Mais, pour bien sentir le mérite de cette musique et apprécier tout ce qu’elle peut valoir, il faut l’écouter plus d’une fois ; c’est ce

  1. Antoinette-Cécile Clavel, si connue au théâtre sous le nom de Saint-Huberti (1756-1812).
  2. Madeleine-Marie Guimard (1743-1816).
  3. Maris-Auguste Vestris (1760-1842), Vestris II ou, comme on disait alors, du nom de sa mère, la danseuse Marie Allard, Vestr’Allard
  4. Niblond. — Lire Nivelon. (Voir, sur ce dansrenet ses romanesques aventures, Mémoires secrets, du 25 août 1781 au 12 janvier 1784. — Voir aussi Goncourt, La Saint-Huberti, p. 51 et Tuetey, III, 1717.)