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instructives sur l’état des divers départements et les moyens d’opérer une contre-révolution, tandis que ces notes contiennent un portrait odieux de notre ami et de Blot, regardé avec lui comme un dangereux patriote.

Vous jugez que cet orage nous inquiète peu : nous en avons vu de plus affreux ; je ne trouverais pas mauvais que les intrigues ennemies nous valussent d’être appelés à la barre de l’Assemblée nationale ; notre ami pourrait s’y présenter comme Scipion devant rassemblée du peuple. Mais les méchants craignent le grand jour ; ils ne travaillent que dans l’ombre, ils soufflent de perfides insinuations et sauront bien éviter que celui qu’ils redoutent soit traduit à tel tribunal.

Au milieu de cette fermentation, parmi tant de gens faibles ou malveillants avec qui le bien est impossible à faire, je trouve bon que nous soyons à la campagne. Si l’orage avait commencé durant notre séjour, nous l’eussions affronté sans nous ébranler comme nous l’avions fait précédemment ; il s’est élevé depuis notre départ : qu’il ait son cours. Nous sommes sur nos pieds pour répondre à la première attaque digne de nous provoquer ; nous ne nous abaisserons pas pour courir après la calomnie on poursuivre des reptiles. Je sens seulement que, si la guerre vient, je réprendrai mes forces et ma santé.

Selon ce qu’on nous mande de Paris, la suppression des inspecteurs[1] devient tous les jours plus probable : ce sera un petit malheur qui ne m’arrachera pas un soupir. Je vois en perspective mon séjour absolu à la campagne, où j’aurai seulement moins de moyens de faire des réparations : mais mon bonheur ne tient ni à la quotité de notre revenu, ni à la beauté de mon habitation : j’en jouirai partout où je pourrai concourir à la félicité d’un sage, à la consolation de quelques braves gens, et cueillir quelques fleurs de la douce amitié : on fait tout cela avec le cœur, sans échafaudage extérieur.

Vous nous avez envoyé d’excellentes choses qui nous ont fait grand plaisir : il est doux de retrouver dans les écrits de ses amis le développement des principes que l’on professe et l’expression des sentiments dont on est pénétré.

Vous connaissez les nôtres, ils sont inviolables ; adieu, digne et bon ami.

    transféré à Paris, où il resta détenu à l’Abbaye jusqu’à son acquittement par la Haute-Cour d’Orléans (13 août 1791). — Voir Tuetey, I, 1446-1474.

  1. La suppression des inspecteurs des manufactures, qui ne fut définitivement décrétée que le 27 septembre 1791, aux derniers jours de la Constituante.