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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

Paris ; c’était tout au plus s’ils avaient entendu parler de quelques grands noms : Hauptmann, Sudermann, Liebermann, Strauss (David, Johann, et Richard), parmi lesquels ils s’aventuraient prudemment, de peur de faire quelque fâcheuse confusion. Au reste, s’ils avaient questionné Christophe, c’était par politesse, non par curiosité : ils n’en avaient aucune ; à peine s’ils avaient pris garde à ce qu’il avait répondu ; ils s’étaient hâtés de revenir aussitôt aux questions parisiennes qui délectaient le reste de la table.

Christophe timidement tenta de parler de musique. Aucun de ces littérateurs n’était musicien. Au fond, ils regardaient la musique comme un art inférieur. Mais son succès croissant, depuis quelques années, leur causait un secret dépit ; et, puisqu’elle était à la mode, ils feignaient de s’y intéresser. Ils faisaient grand bruit surtout d’un opéra nouveau, dont ils n’étaient pas loin de faire dater la musique, ou tout au moins l’ère nouvelle de la musique. Leur ignorance et leur snobisme s’accommodaient assez de cette idée, qui les dispensait de connaître le reste. L’auteur de cet opéra, un Parisien, dont Christophe entendait le nom pour la première fois, avait, disaient certains, fait table rase de tout ce qui était avant lui, renouvelé de toutes pièces, re-créé la musique. Christophe sursauta. Il ne demandait pas mieux que de croire au génie. Mais un génie de cette trempe, qui d’un coup anéantissait le passé !… Nom de