Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 6.djvu/146

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

130
JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

d’angoisse mortelle. Mais il gardait le cœur mystique ; et, si incroyant qu’il fût devenu, nulle pensée n’était plus près de la sienne que celle de sa sœur. Ils vivaient l’un et l’autre dans une atmosphère religieuse. Quand ils rentraient, chacun de son côté, le soir, après avoir été séparés tout le jour, leur petit appartement était pour eux le port, l’asile inviolable, pauvre, glacé, mais pur. Comme ils s’y sentaient loin du bruit et des pensées corrompues de Paris !…

Ils ne causaient pas beaucoup de ce qu’ils avaient fait : car, lorsqu’on revient fatigué, on n’a guère le cœur à revivre, en la racontant, une pénible journée. Ils s’appliquaient instinctivement à l’oublier ensemble. Surtout pendant la première heure, où ils se retrouvaient au dîner du soir, ils prenaient garde de ne pas se questionner. Ils se disaient bonsoir des yeux ; et parfois, ils ne prononçaient pas une parole, de tout le repas. Antoinette regardait son frère, qui