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DANS LA MAISON

bougea point. Il était assis sur son lit, dans l’obscurité, la tête entre les mains, se répétant : « Mon ami m’a trahi !… » ; et il resta ainsi, une partie de la nuit. C’est alors qu’il sentit combien il aimait Olivier ; car il ne lui en voulait pas de l’avoir trahi : il souffrait seulement. Celui qu’on aime a tout droit contre vous, même de ne plus vous aimer. On ne peut lui en vouloir, on ne peut que s’en vouloir à soi-même d’être si peu digne d’amour, puisqu’il vous abandonne. Et c’est une peine mortelle, qui brise la volonté de vivre.

Le lendemain matin, quand il vit Olivier, il ne lui parla de rien ; il lui était si odieux de lui faire des reproches, — reproches d’avoir abusé de sa confiance, d’avoir jeté ses secrets en pâture à l’ennemi, — qu’il ne put dire un seul mot. Mais son visage parlait pour lui ; il était hostile et glacé. Olivier en fut saisi ; il n’y comprenait rien. Timidement, il essaya de savoir ce que Christophe avait contre lui. Christophe se détourna brutalement, sans répondre. Olivier, blessé à son tour, se tut, et dévora son chagrin, en silence. Ils ne se virent plus, de tout le jour.

Quand Olivier l’eût fait souffrir mille fois davantage, jamais Christophe n’eût rien fait pour se venger, à peine pour se défendre : Olivier était sacré pour lui. Mais l’indignation qu’il ressentait avait besoin de se décharger sur quelqu’un ; et puisque ce ne pouvait être Olivier, ce fut Lucien Lévy-Cœur. Avec son injustice et sa passion habi-