Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 3.djvu/201

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fut, de loin, annoncée par des hurlements. Ils approchaient : deux charrettes de débris vivants ; sur des civières, des loques, la tête renversée : de l’un, le bras pendait, les ongles raclaient la poussière du chemin. Un petit groupe, les moins blessés, marchaient devant, la face ou le bras bandés. Au premier rang, la haute et maigre silhouette d’un officier allemand. Une escorte insuffisante. La foule, poings levés, — des femmes, griffes tendues, se ruèrent à la rencontre… Union sacrée ! On voyait, mêlés au peuple, petits commerçants, bourgeois, — et même, à quelques pas derrière, des dames de la société. Les malheureux qui venaient s’arrêtèrent, un instant : ceux qui venaient après, les forcèrent à marcher ; ils avancèrent, poussés, l’effroi sur les visages : ils crurent qu’ils allaient être massacrés. Des pierres furent jetées. La foule se hérissa de cannes, de parapluies. Cris de mort, sifflements. Le plus visé de tous était, naturellement, l’officier. Un poing le bouscula, une main lui arracha son casque et le jeta ; une femme vociférante lui cracha à la face. L’homme, frappé tituba…

Annette s’élança…

Elle était là, derrière trois rangs de foule. Elle regardait, saisie. Elle n’avait rien prévu, rien voulu. Elle n’eut même pas le temps de discerner ce qui,