Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 3.djvu/294

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avaient disparu aussi, mais dans cet autre gouffre, qu’on appelle la gloire, — ces fondrières épiques, où l’on roule, en Andalousie, les cadavres des chevaux qu’ont troués les taureaux. Rien d’eux n’avait surnagé dans la glaise de la Somme, que le pouce infernal des deux artilleries avait longuement malaxée. Le chagrin s’était abattu, en trombe, sur la famille Bernardin. Quelques secondes avaient suffi pour dévaster leur race. Le coup était frais de quinze jours. M. Bernardin père, comme un bœuf assommé, avait l’œil sanglant ; sa fureur et sa foi se livrèrent un rude assaut ; il y eut des minutes, où il se colleta avec Dieu. Mais Dieu fut le plus fort ; et maintenant, l’homme, écrasé, tête pendante, présentait les pouces.

Dans la nuit qui suivit le lendemain de son arrivée, Annette se trouva, avec le troupeau décimé, dans les caves de la maison, où l’alerte d’un raid aérien l’avait entassé. Ce n’était plus l’animation cordiale des premiers temps où, se cherchant les uns les autres, on mettait en commun, afin de les multiplier, sa foi et son espoir. Malgré l’effort qu’on s’imposait pour garder ensemble les formes de la courtoisie et l’apparence d’un mutuel intérêt, on sentait que chaque groupe de famille, et dans chaque groupe, chaque individu s’isolait, au fond de sa cellule desséchée. Sur tous semblait