Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 3.djvu/323

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réprouvés. C’étaient les morts ennemis, qu’évacuait l’hôpital. Comme ils étaient chrétiens, ils avaient eu accès dans la vallée de Josaphat, mais on les avait parqués, devançant le Jugement, qui séparera « oves ab haedis. »

La vieille Guillemette n’avait point, elle, sa place retenue d’avance au paradis. Elle confia à Annette :

— J’ai un de mes garçons là-bas. Un petit blond, à lunettes. Il était bien poli. Quand je faisais ma cuisine, il allait au puits me tirer de l’eau. Il me parlait du papa, de la fiancée. Je m’en vas lui faire un bout de causette.

Annette l’accompagna. La vieille ne pouvait pas lire les noms sur les croix. Annette l’aida. Elles finirent par trouver celui que l’on cherchait. Guillemette disait :

— Mon pauvre gars, t’es donc là ? T’as pas été chançard !… Mais autant ici qu’ailleurs !… Tu vois, ta vieille ne t’oublie pas… C’est vrai qu’elle n’a pas pensé à t’apporter une fleur !… Mais je vas toujours te faire une petite prière.

Annette la laissa agenouillée. Elle était saisie par le dénuement grelottant de ces tombes, — parents pauvres, oubliés à dessein par la famille des morts en fête. Elle retourna à l’entrée du cimetière, acheta chez le gardien une brassée de fleurs, et, sans réfléchir à ce que son brusque élan pouvait