Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 3.djvu/96

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toujours sain, — mais c’est un monstre !… » Vivre est mourir, chaque jour, et, chaque jour, lutter. Cette province meurt, mais elle ne lutte pas. Elle coule béatement, comme ses rivières sans rides, au ras des rives et des jours, dans son bon sens égoïste et narquois.

Pourtant, il fut un temps où elle brûla, cette terre. Cette vieille ville bourguignonne, aux trois fières églises, tours et flèches gothiques, en pierre blanche bronzée et rongée par le temps comme une armure rouillée, qui dressent leur silhouette de chevaliers du Christ, au-dessus du serpent du fleuve qui s’allonge, — leurs rangées de statues de saints décapités, les caillots de sang noirci de leurs vitraux troués, — leurs trésors de cathédrale, les tapisseries d’Haroun et les orfèvreries massives des empereurs Charles, fils de Charles, pères de Charles, — les ruines de leurs tours pointues et de leurs murs d’enceinte, de l’âge des Anglais, — tout atteste la vie forte d’autrefois, le sang rouge, la crosse d’or des grands évêques, et les luttes épiques, le Duc, le Roi — les rois (quel est le vrai ?) — et le passage de la Pucelle…

Maintenant, les rues sont dépeuplées. Entre les murs des maisons bourgeoises, aux portes étroites surélevées d’une marche, bien fermées, on entend de loin sonner sur le vieux pavé un pas nonchalant qui vient, — et, dans le ciel, les cris