Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t1.djvu/11

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AVANT-PROPOS.


On peut ſourire avec dédain à ces Archiviſtes de la frivolité du jour, à ces Échos éphémeres de l’eſprit d’intrigue & de parti, qui jugent un livre ſans ſavoir lire, & prononcent fiérement ſur les opinions, comme ſur le ſtyle de l’Auteur. C’eſt au livre ſeul à parler pour le condamner ou l’abſoudre. Mais voir fouler aux pieds les reſtes encor palpitans de l’homme vertueux qui nous fut cher, qui nous aima ; entendre outrager ſa mémoire, diffamer ſes mœurs, noircir ſon caractere, & garder un ſilence froid ou timide, ce ſeroit s’avouer auſſi vil que le lâche qui, guettant ſur le bord de la tombe, l’homme autrefois ſon ami, l’attendit au cercueil pour aſſouvir ſa rage en poignardant un cadavre : baſſeſſe atroce, qui m’enflammant d’indignation, m’inſpira le projet & le plan de cette Épître dédicatoire. Je la ſigne parce que l’honneur l’exige. Content dans mon obscurité, de cultiver en paix quelques amis, & les fruits de mon jardin, je n’ai pas la manie de répandre mon nom, mais je ne crains point de l’afficher, dès que pour la défenſe d’un ami, la vérité m’en fait une loi. Oui la vérité ; car les éloges donnés au caractere moral de Rouſſeau ne ſont pas des phraſes de Rhéteur ; ils portent sur des faits publics, ou conſtatés par une foule de lettres originales qui exiſtent entre mes mains, à pluſieurs deſquelles ſes réponses ſe trouvent annexées. C’eſt-là, c’eſt dans ces écrits privés que ſe peint la beauté de ſon ame, cette candeur qui la diſtingue, ce rare déſintéreſſement, cette vive ſenſibilité, cette bienveillance