Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t1.djvu/128

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sans cesse, au lieu qu’il eût falu commencer par nettoyer l’aire & écarter tous les vieux matériaux, comme fit Lycurgue à Sparte, pour élever ensuite un bon édifice. La société ne consista d’abord qu’en quelques conventions générales que tous les particuliers s’engageoient à observer, & dont la communauté se rendoit garante envers chacun d’eux. Il falut que l’expérience montrât combien une pareille constitution étoit foible, & combien il étoit facile aux infracteurs d’éviter la conviction ou le châtiment des fautes dont le public seul devoit être le témoin & le juge ; il falut que la loi fût éludée de mille manieres ; il falut que les inconvéniens & les désordres se multipliassent continuellement, pour qu’on songeât enfin à confier à des particuliers le dangereux dépôt de l’autorité publique, & qu’on commit à des magistrats le soin de faire observer les délibérations du peuple : car de dire que les chefs furent choisis avant que la confédération fût faite, & que les ministres des loix existerent avant les loix mêmes, c’est une supposition qu’il n’est pas permis de combattre sérieusement.

Il ne seroit pas plus raisonnable de croire que les peuples se sont d’abord jettés entre les bras d’un maître absolu, sans conditions & sans retour, & que le premier moyen de pourvoir à la sûreté commune, qu’aient imaginé des hommes fiers & indomptés, a été de se précipiter dans l’esclavage. En effet, pourquoi se sont-ils donné des supérieurs, si ce n’est pour les défendre contre l’oppression, & protéger leurs biens, leurs libertés & leurs vies, qui sont, pour ainsi dire, les élémens constitutifs de leur être ? Or dans les relations